Un samedi grisâtre et maussade régnait aujourd'hui sur Funky Town. On entendait même gronder le tonnerre au loin. L'atmosphère était lourde, pesante et étouffante. Les gens étaient plus à cran qu'à l'accoutumée, du moins, c'est le ressenti que j'en ai eu tout au long de cette journée de travail. Plusieurs altercations inter-espèces avaient été signalées, dont une qui avait failli tourner à la bagarre générale. L'équilibre était déjà suffisamment précaire comme ça, la ville n'avait pas besoin que plus de violence n'éclate entre les monstres et les humains. Outre le manque criant de communication entre eux et nous, c'était surtout un problème de compréhension qui se posait. Ils pensaient que nous les envahissions, alors que tout ce que l'on a fait, c'est être aspirés ici à cause de leur folie. Enormément de monstres ont vu leur vie être arrachée lors de l'apparition de la brèche, leurs souvenirs soustraits de force à leur mémoire. Ils ont tout perdu, n'ayant aucun moyen de rentrer chez eux. Des âmes en peine, errant dans un monde qu'ils ne connaissent pas, seuls, chassés pour être transformés en drogue ou pour servir de cobaye à la folie décadente propre à l'humanité. Etait-ce ma propre amertume qui biaisait mon jugement, ou simplement le bon sens ? Le pour et le contre pesé, il m'apparaissait clair que nous étions largement défavorisés. Bien évidemment, certains de nos semblables ont décidé de laisser parler leur rancœur et véhiculer une image encore plus négative sur nos agissements, ce qui compliquait davantage nos relations avec les humains. Mais là encore, ce n'était qu'une minorité. Non, j'avais beau y réfléchir encore et encore, nous subissions une plus grande injustice. Si la plupart des humains sont certes innocents, si j'avais le choix entre sauver un monstre et un homme de même valeur, je privilégierai le monstre. Et c'est ce que j'ai toujours appliqué depuis que j'arpentais les rues de Funky Town.


C'est d'ailleurs en suivant ce chemin de vie que j'ai pu faire quelques rencontres de monstres perdus. Une en particulier m'avait particulièrement touchée par son histoire. Amnésique, cobaye jusqu'à se faire jeter à la rue une fois que son utilité fut épuisée jusqu'à la dernière goutte. Mais elle n'avait pas perdu espoir. Elle gardait une once de lumière, d'optimisme face à la situation actuelle. Elle était forte, et elle souriait. Un sourire sincère et chaleureux. Je me souviens de notre première rencontre, où nous avions beaucoup discuté, elle et moi. Mon sens de la justice avait été profondément marqué par ce qu'elle m'avait raconté sur elle. Aussi, je lui avais proposé de l'héberger, comme elle n'avait pas de toit. Ce fut un choix qui m'avait moi-même surprise, sur le moment. Mais au final, je n'ai jamais regretté. Lollipop, le nom qu'elle m'avait donné, avait vécu un bon moment chez moi, avant de prendre davantage son indépendance. Elle passe toujours relativement souvent, mais elle fait sa vie à côté. Elle débarque souvent à l'improviste, passer du temps, se détendre, manger un bon repas et avoir de la compagnie. C'est un deal qui me convenait. Ma porte était toujours ouverte pour elle. Je lui avais d'ailleurs laissé le double de mes clés, au cas où je n'étais pas là pour lui ouvrir mais qu'elle voulait s'installer au chaud.


Ce fut d'ailleurs ce qu'elle fit ce soir. Je sortais d'une douche chaude bien méritée après cette journée éreintante, qui m'a d'ailleurs valu un bleu tournant au violet au niveau de ma pommette gauche à cause d'un direct du droit d'un monstre bien costaud. Alors que je me séchais, j'entendis la porte s'ouvrir et se fermer. Ma serviette enroulée autour du corps, je descendis d'un pas prudent, juste au cas où, en direction de l'entrée. Une petite boule rose se tenait sur mon canapé, le visage angoissé et les yeux rougis. Elle n'allait pas bien, c'était aussi évident que le résultat de l'addition un plus un. Je m'approchais d'elle, en silence, avant de m'asseoir à sa gauche. J'étais très loin d'être la meilleure quand il s'agissait de réconforter les gens, du fait de mon affectivité très réduite, mais je savais très bien les écouter. Je fis ce que j'imaginais être la bonne chose à faire : je passais mon bras autour d'elle, et je posais mon autre main sur ses cheveux. Je la laissais comme cela pendant quelques instants, de longues secondes, peut-être même minutes, avant de prendre la parole, doucement.


« Tu peux tout me raconter, je t'écoute. »


Elle était très tendue. Sa tête devait être un véritable maelström de négativité. Si je pouvais faire quelque chose pour l'aider, l'apaiser un minimum, je le ferais. Elle le savait, et il lui suffisait de me le demander.

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