MUSIQUE - Oh Lim, tes yeux sont plus grands qu’un lac après les moussons, plus brillants qu’un crystal morcelé par le soleil. Tu le fixes avec tant de béatitude et d’émotions que même les esprits les plus taquins de ce temple n’oseraient te déranger par quelques farces ou moqueries. Il vient de prier pour toi. Il vient, de tout coeur, de prier pour toi. Il te faut quelques longues et douces secondes pour toucher à nouveau le sol de tes pensées.

Or, tu n’oses pas bouger d’un cil - tu as peur que cela puisse rompre le charme.

Tu peux… Tutoies-moi ! Un large sourire déforme gaiement ta bouche. Tu n’y tiens plus ! Tu te jettes à son cou et l’enlaces. Le minois niché dans sa chevelure, tu resserres ton étreinte jusqu’à sentir ses os te résister. Nous sommes amis ! Sen-kun… Nous sommes amis ! Alors tutoies-moi ! Il sent bon. Il sent très bon. Quelques mèches folles te chatouillent le nez. Tu glousses. Avec l’amusement revient la gêne, porteuse de rouge et de rose.

Tu t’écartes, te confonds en gestes flous et rictus embarrassés. T’as les joues chaudes et le palpitant battant. Alors c’est ça qu’on ressent lorsqu’on se fait un véritable ami ? Ou est-ce parce que Sen a ce je-ne-sais quoi qui te rends avide d’être à ses côtés ?

Tu l’ignores. Ce n’est pas très important de ne pas posséder les réponses à ce genre de questions. Le temps finira bien par te les fournir, d’une manière ou d’une autre.

Sen-kun, je veux que tu formules un souhait, un petit souhait, s’il te paît ! Je me sentirais bête sinon. Je veux faire quelque chose pour toi. Quand je prie, moi, les dieux me rient souvent au nez. Un petit souhait, Sen-kun, s’il te plaît ! Tu dis, la moue boudeuse et mauvaise - repenser à toutes ces fois où les dieux se moquaient de tes plumes trop pales ou de tes prières trop niaises… Maudits soient-ils, tous !

Enfin non, pas celui de qui vous empruntez le temple. Non, non, non, pas vous ! Puissiez-vous veillez sur nous.

Une carpe vient de sauter hors de la marre. Elle a gobé une mouche ! Le cliquetis des gouttes t’interpellent. Tu fixes le singulier remue-ménage qui se dessine sous les vaguelettes et tes songes s’égarent avec elles.

Dis… Pourquoi est-ce que tu connais autant de gens sales ? Non, non, tu n’as pas oublié ses paroles, celles qui ont précédé sa prière. Rien ne t’échappe, rien ne t’échappera. Surtout que ce n’est pas seulement de la curiosité qui s’enjoint à ta demande mais aussi une sensation nouvelle et déplaisante : l’inquiétude.

Tu crois t’être déjà beaucoup inquiété pour une personne - un jour, avant, il y’a longtemps, il n’y a pas longtemps ? Tu crois l’avoir aimé, beaucoup ? Légèrement ? Ah c’est le brouillard ! Ces vagues souvenirs qui n’en sont pas, ou qui le sont - ça t’agace.

MUSIQUE - Oh… C’est un souhait plutôt curieux qu’il formule. Tu n’es pas certain de comprendre… En quoi endormir sa mère lui ferait plaisir ? Est-ce qu’elle serait souffrante ? Est-ce qu’elle serait tellement têtue qu’elle refuserait de dormir pour mieux travailler toute la nuit ? Tu le fixes, cherchant sous ses cils un indice quelconque. Ce que tu déniches n’a rien qui se raccorde à tes premières hypothèses.

Un souhait reste un souhait ; tu joins tes mains, fermes les yeux et récites à voix basse une petite formule de ton cru qui t’aide à concentrer ton pouvoir - une de mes plumes envolée, que son souhait soit exaucé ! Une infime vague de frissons te saisis et tu rouvres les yeux, un sourire chaleureux pendu aux lèvres. Cette sensation de félicité te manquait - 2h de ta vie pour elle, ce n’est pas cher payé.

Lorsqu’il rentrera, sa mère dormira profondément.

Il est temps que vos chemins se séparent à présent, jusqu’à votre prochaine entrevue. Cela ne t’attriste pas d’avoir à terminer ta nuit seul, non, tu as quantité de pensées douces et violettes à laisser flotter sous tes paupières. Si tu dois te battre, alors je serais à tes côtés. Tu déclares, avec un trop plein de fierté et d’assurance pour être entièrement crédible. Je refuse qu’il t’arrive des ennuis, Sen-kun. Tu refuses également qu’il s’égare sur un chemin trop boueux - après tout, il mérite l’or.

Tu te lèves, époussettes tes vêtements et réajustes quelques mèches rebelles déclarant la guerre à ton front. T’as les joues fraîches - l’humidité et le vent te somment de déguerpir pour gagner ta couette et sa chaleur.

Je vais rentrer tout seul, ne t’en fais pas. Ne vous méprenez pas, si la situation l’exige, tu serais fort capable de te défendre ardemment ou de courir plus vite qu’un guépard. Un escort de ton genre a plus d’un tour dans son sac !

Ah… Au fait… Tu fouilles dans tes poches de pantalon à la recherche d’un papier. C’est un emballage de bonbon que tu dégotes, un de ceux que Sen t’avait donné pour compenser les tagadas que tu réclamais dans tes délires de grand blessé. Ça te fait glousser - t’es sûr d’avoir été hyper lourd avec lui à ce moment là.

Le hic c’est que tu n’as pas de stylo - mais t’as ton eyeliner. Mh.
Tu gribouilles ton numéro en essayant de le rendre le plus lisible possible. Au moins, c’est original.

Tu glisses le papier dans l’une de ses mains. Appelle-moi ! Ou tu peux m’écrire si tu préfères… J’ai hâte de te revoir. Ton sourire s’agrandit, prêt à décrocher tes oreilles. Là, maintenant, tu hésites entre l’enlacer pour la seconde fois, lui baiser une joue, lui tapoter une épaule ou simplement le saluer d’un hochement de tête.

Va pour un hochement de tête, que tu joues viril non assumé - le reste, ton embarras ne l’aurait pas permis.

Tu patientes encore une minute avant de tourner les talons et de disparaître derrière le temple. Tu n’es pas décidé à quitter le parc, pas tout de suite - il y’a des lucioles et des grillons qui ne demandent qu'à être admirés !