Cette impression ne t'avait jamais quittée, engourdissant tes membres d'un défaitisme qui avait fini par t'emprisonner. Tu avais pourtant tenté de te persuader que ton existence avait un sens que tu découvrirais éventuellement. Tu avais laissé le temps au temps pour finalement réaliser que tout ces rêves que tu avais chassé n'étaient que du vent.

Ils te disaient que tu avais avancé. À quoi bon avancer si c'était pour se contenter de tourner en rond ?

Tu avais couru dans les rues vides, soucieux de ne pas faire désordre. Tu ne cherchais pas à briser ce qui t'entourait, simplement cet ennui qui avait élu domicile en toi. Si cette ville était ta cage, tu comptais bien en explorer les moindres recoins. Escalader, sauter de toit en toit et une fois en haut sortir ta caméra. Tu immortalisais tes petits exploits, confondant le délire de l'adrénaline avec l'espoir véritable de sortir un jour de ces murs déprimants. Tu aurais voulu parcourir le monde qu'il y avait de l'autre côté. Toutes ces cultures différentes qui t'auraient tendu les bras. Tout ces endroits incroyables chargés d'histoire que tu aurais pu visiter. Les monuments, les sites naturels, les lieux abandonnés comme ceux de ces vidéos que tu regardais constamment. Tu te sentais Icare des temps modernes avec ta manucure fraîchement défoncée.

Tu n'aurais pas reproduit son erreur, mais ceux qui te maintenaient captif avaient de toute évidence lu la même histoire que toi.

Tu avais couru de soirées en soirées jusqu'à simuler l'impression de t'envoler. Tu tentais tout ce que l'on te proposait pour autant que l'on te promettait que pour quelques secondes au moins tu éclaterais ces barreaux. Tu te saoulais au son des basses. Elles avaient la fâcheuse manie de faire onduler ton corps jusqu'à l'aube, ou jusqu'à ce qu'il frémisse sous les doigts d'une personne que tu étais parvenu à charmer.

N'importe quoi. Tu aurais fait n'importe quoi pour tromper cette solitude et fuir ces nuits où le sommeil ne t'emportait pas.

Tu avais couru, encore courbaturé, marqué et épuisé par la nuit précédente, pour éviter tout retard à ce travail que tu n'aurais échangé pour rien au monde. La lassitude des clients insupportables était rapidement éclipsée par les nouvelles rencontres et les habitués qui te partageaient des tranches de leur vie, des histoires qui faisaient pétiller tes yeux sans qu'elles n'aient rien d'exceptionnel. Tu les chérissais, à défaut d'avoir tes propres souvenirs auxquels te raccrocher.

Tu aurais voulu que ton patron ne t'accorde pas de jours de congé et ainsi servir du café et des sourires jusqu'à ce que ton corps s'écroule.

Tu avais couru après des stimuli, t'efforçant de découvrir qui tu étais. Tu avais craché sur tes principes pour frôler l'infime possibilité de déclencher quelque chose en toi tant tu étais terrifié par l'idée qu'ils glissent définitivement hors de ta portée. Peu importait si tu te sentais sali, humilié ou bouffé par les remords et l'angoisse. Tu apercevais parfois des flash-back faits de silhouettes muettes et sans visages.

Tu colorais tes ongles car cela les ramenait parfois. Tu avais développé un très bon niveau à force de recommencer à t'en blesser les phalanges. Douloureux, mais apaisant. Worth it.

Tu avais couru sans cesse et tu n'avais rien gagné.
Tu étais essoufflé, pourchassé par tout ces problèmes que tes solutions avaient créés.
Aussi égaré que lorsque tu avais ouvert les yeux, ta réalité en est venue à se morceler.

Tu as saupoudré ta paranoïa naissante de contes de fées, jusqu'à déformer la perception que tu avais de ce qui t'entoure. Tu te sentais tant en sécurité dans ton sommeil que ton imagination s'empare désormais de ton présent. Ce garçon qui te regarde avec insistance depuis l'autre bout du café est forcément fou amoureux de toi. Commander ne doit être qu'un prétexte pour attirer ton attention.

Tu seras avec lui pendant un temps, jusqu'à ce que le vide en toi ne fasse à nouveau acte de présence. Il te murmurera qu'il ne peut pas t'aimer sincèrement alors qu'il manque tant de pièces pour que tu sois enfin complet.

Si seulement tu pouvais oublier que tu avais oublié.