music - Je reste un instant circonspect. J’hésite à répondre. Je réfléchis. Il n’y a pas que moi qui me fasse une image erronée. Il s’en fait une également de ma personne. Tu as tord en partie, oui. Je dis, avant de froncer les sourcils. Apprends que ma passion, comme tu la nommes, ne régit pas toutes mes émotions. À vrai dire, elle tend plus à anihiler ces dernières qu’à les stimuler. Il n’y a que la douleur et la colère, et parfois le plaisir, oui, dont elle se fait reine.

Comment expliquer concrètement une pulsion si primaire et animale ? Est-ce que Ted Bundy aurait su décrire avec précision l’immense flot d’informations et de sensations qui le traversait au moment de tuer ? Est-ce que Ed Gein aurait su expliquer le degré de plaisir et de souffrance qui le saisissait au moment de tuer ? Est-ce que Richard Ramirez aurait su expliquer à quels instants précisément ses pulsions s’emparaient de ses sentiments pour les aliéner ?

J’en suis incapable.

Son pied s’émousse contre ma cheville droite. Je souris. Il n’est pas difficile à charmer. Il n’est pas non plus difficile à ennuyer. C’est une personne qui ballotte constamment entre les extrêmes, je suppose. Je ne réagis pas. Je ne sais pas si je dois réagir. Je préfère me concentrer sur les traits réguliers de son visage.

Je te ferais essayer la roulette russe. Celle à laquelle je joue est un peu particulière. Je te montrerais plutôt que de t’expliquer si tu le souhaites, évidemment. Il peut refuser. Il peut accepter. Ce choix n’est pas d’une grande importance. En revanche, qu’il m’entraîne sur son terrain de jeu l’est. Je veux voir, je veux essayer, je veux vibrer.

Qu’il m’ait écouté me masturber au micro m’avait déjà beaucoup plu. Quelles autres obscénités puis-je me permette avec lui ? Je me connais un certain attrait pour le voyeurisme…

Mh. Ce n’est pas le lieu ni le moment pour songer à ceci.

Il me faut partir. Ma montre m’informe qu’il ne me reste que deux heures pour rentrer chez moi, me changer et rejoindre la planque Kabuki. J’ai deux interrogatoires de planifiés ce soir. Deux corps à observer se crisper, se tordre, se briser.

Ah.

Je prends présentement conscience que ma cheville, celle qu’il caresse, fourmille. Je prends également présentement conscience que ce ne sont pas les traits réguliers de son visage sur lesquels je me concentre mais ceux de sa gorge.

Je me lève, lentement. Je me place à ses côtés. Droit, debout. Sept secondes je le fixe ainsi, à moitié ombré de ma silhouette. Je me penche. Je pose ma main gauche sur l’une de ses cuisses. J’enroule ma main droite autour de sa nuque. Je serre. J’épingle ma bouche sur la plaie dont j’ai paré son cou. Je la baise. Je la lèche. Je la colore.

Une maigre compensation, pour Ayumi. Je murmure.

Je m’écarte. Mon sourire s’agrandit jusqu’à creuser mes joues. Je dois partir. Je me redresse. Tu m’excuseras. Je saisis mon manteau. Notre affaire est entendue ? Je demande, tout en déposant quelques billets sur la table.

L’expression de son visage a légèrement changé. Son corps est légèrement plus tendu. Ses gestes sont légèrement plus secs. Je note un agacement - mêlé à une forme d’embarras. Je ne comprends pas l'origine de cette attitude.

J’y réfléchirais plus tard.
Cette nuit.

Je souris. Bien. Ne t’en fais pas. Je déclare, très satisfait. Je ferme trois boutons de mon manteau. Je regarde ma montre. Je regarde autour de moi. Je regarde à nouveau ses yeux. Je regarde brièvement sa gorge. Je regarde la rue et ses passants. Je te souhaite une bonne fin de journée.

J’hésite à ajouter un commentaire moqueur. Masturbe-toi en toi en pensant à moi. Non. C’est inutile. Provoquer verbalement n’est pas de mon ressort ni de mon goût, d’autant que ce n’est pas un souhait véridique.

Mon sourire s’agrandit. Je lui adresse un dernier salut de la main gauche. Je tourne les talons. Je m’en vais.

J’ai hâte de le revoir. J’ai hâte de ressentir.
En attendant, il me faut rattraper le malentendu avec Ayumi.
Mon estomac me digèrera de l’intérieur au quel cas.