I’m good at reading people.  My secret, I look for the worst in them.   musique - aoki naoko.
il avait fallut beaucoup de temps à kei pour que la sonorité de ce nom lui fasse écho. lorsqu'il réalisa, ce fut un bond dans le passé - un voyage long de quatorze ans. il était assis à sa table, près de la fenêtre au cinquième rang et tandis que la plupart de ses camarades s'abandonnaient à de profondes contemplation au travers de la vitre, lui, ne décrochait pas les yeux de sa feuille et ses oreilles de son professeur. il notait tout à une vitesse extrême, recopiait mot pour mot chacune de ses phrases si bien que, par mégarde, il en écrivait des euh à tout bout de champ. à sa droite, il y avait cette fille aux joues rebondies et aux petits yeux qui le dévorait toujours du regard et dès qu'il osait tourner la tête en sa direction, elle repartait enfouir son visage dans son bouquin.

le son de sa tasse de café arrivant à sa table l'arracha alors subitement de ses songes.
voilà bien des années que kodama n'y avait pas repensé si bien qu'il eut l'impression de revivre des souvenirs qui ne lui avaient jamais appartenu. la serveuse le salua d'une timide courbette avant de retourner au niveau du bar un peu plus loin, abandonnant son client face à son ordinateur, son café latté entre ses mains gantées.

kei avait profité de son heure d'avance pour faire ses recherches. depuis qu'aoki l'avait recontacté pour renouer contact, il s'était amusé à retracer chacune de ses vieilles connaissances de lycée. ainsi, il découvrit que kuro-kun avait des difficultés financières et était incapable de garder un job fixe - cet enfoiré avait toujours été un abruti de toute manière - que mari-chan travaillait toujours au restaurant de ses parents et s'était mariée à un américain ridiculement petit qui la trompait depuis toujours, que ce gars du fond de la salle qui dormait la tête contre son pupitre avait fini par crever dans un accident de la route - bon débarras. comptes en banque, réseaux sociaux, messageries instantanées, c'était un jeu d'enfant que d'accéder à toutes ces données personnelles mais...
mais pour aoki, c'était différent. là où la plupart des gens pensaient qu'un mot de passe composé de majuscules, minuscules, chiffres et lettres était largement suffisant pour garder un minimum d'intimité, il avait fait différemment. komada avait été surpris de ne pas réussir à accéder à une quelconque information sur ce gamin dont il n'avait qu'un bref souvenir - poli, plus jeune que lui, assez discret, sociable, sympathique, sans grand intérêt.
... sans grand intérêt ?
c'est ce qu'il pensait.

lorsqu'il leva le bout de son nez, il aperçut la silhouette d'un homme de la trentaine également aux cheveux colorés et la démarche traînante derrière la vitre du café. lorsqu'il quitta le couloir du centre commercial pour rentrer, kei se redressa sur sa chaise, ferma son ordinateur et le salua d'un geste de la main.

- aoki-kun. l'interpella-t-il.

Je vais en retard, je m'en rends bien compte, et je referme précipitemment la porte de l'appartement derrière moi, oubliant de la verrouiller, non que ce soit vraiment important ; pour y arriver, il faut traverser le restaurant ou emprunter la porte arrière, qui est toujours verrouillée. Je n'aime pas arriver en retard à mes rendez-vous, surtout lorsque j'en suis l'instigateur et que je place la personne à un niveau supérieur au mien.
C'est le cas avec Kodama Kei ; relent de vieux comportements, bien que je n'ai aucune raison de le considérer comme ayant mieux réussi dans la vie que moi, je ne peux m'empêcher au senpai que j'observais parfois sans oser m'approcher.
Je me souviens surtout de son dos ; il marchait devant moi et j'étais fasciné par le lustre noir de sa chevelure, par l'ondulation de sa veste lorsqu'il faisait un pas. Kodama avait été un garçon simple, sans attrait véritable ; mais il constituait un modèle que je pouvais suivre. Quand j'y repense, je me ris de ma naïveté d'alors. Fut un temps où j'avais l'innocence d'admirer les autres sans rien savoir d'eux-mêmes. Non, c'est faux : j'avais perçu quelque chose, chez Kodama. Un éclat étrange, anormal, qui ne collait guère à l'image d'étudiant modèle qu'il s'était forgé.  J'avais tout oublié de cela jusqu'à retomber sur lui par le plus total des hasards.
Je n'ai pas choisi de l'aborder en toute innocence. Le Nao d'alors n'existe plus ; il a disparu d'un coup, si brusquement que j'en ai presque oublié celui que j'étais avant. Pourtant, il me faudra faire semblant, et renouer avec le passé. Je dois porter à nouveau le masque d'adolescent, prétendre que je ne lui porte toujours qu'une admiration sans failles, alors même que je ne suis pas vraiment certain de ce que je pense de lui.
Je pousse la porte du café et je l'aperçois en train de m'attendre. Je le rejoins sans me presser, après avoir lancé un coup d'œil à la serveuse pour l'assurer que je savais ce que je faisais. Peut-être, me dis-je alors que je comble la distance entre nous, suis-je devenu trop silencieux.
J'incline légèrement la tête en le saluant. Bonjour, Kodama-senpai. Je m'assois en face de lui, m'efforçant d'ignorer l'ordinateur qu'il vient de refermer d'un geste brusque (il devait travailler ; pensée qui ne me met guère à l'aise, pour être honnête). Je vois qu'il a déjà commandé sa consommation, qu'elle est même déjà bien entamé ; et bien que je sache que mon retard n'est, en théorie, que d'une petite minute, je présente les excuses d'usage : Je suis désolé pour le retard, j'espère que tu n'as pas dû attendre trop.
... Pour être tout à fait honnête, je dois avoir l'air bien plus terne que mon apparence ne le laisse supposer. Malgré l'excentricité de ma chevelure (n'y voyez là qu'un cri silencieux, une marque d'appartenance, une façon de prouver à mes détracteurs que non, je ne me soucie pas de savoir si je passe inaperçu ou non), j'ai l'air encore plus banal que je ne l'étais alors. C'est bien l'intention que j'ai : donner l'image d'un homme casé, professionnel, qui n'a pas de femme parce qu'il est trop lâche pour aborder la gente féminine. Je me demande ce qu'il en est, pour sa part. Je sais des choses, mais je n'ai pas songé à m'intéresser à ce domaine-là. Maintenant, je me dis que j'aurais peut-être dû.

I’m good at reading people.  My secret, I look for the worst in them.   musique - ah. il avait vieilli.
maintenant qu'ils se retrouvaient face à face, kei pouvait constater que quatorze ans les avaient séparé. le temps venait de le rattraper et sans doute que lui aussi avait pris de l'âge. ses manières et son air, en revanche, demeuraient intacts.

- pas besoin de m'appeler senpai enfin, on n'est plus au lycée. prévenu-t-il en remuant légèrement sa main pour lui faire comprendre que ce n'était vraiment pas la peine.

un léger sourire haussa les pommettes de kodama. il fit de son mieux pour avoir l'air normal, du genre désintéressant, peut-être même facile de confiance. s'il laissait son coeur (pour ce qu'il en reste) parler, aoki ferait sans doute demi-tour illico presto sans demander son reste et ce n'était vraiment pas les intentions de kei. sa curiosité l'avait poussé à sortir de chez lui et accepter cette putain d'invitation, alors, autant jouer le jeu jusqu'au bout. il était temps de redevenir l'adolescent qu'il fut.

- tu n'as pas beaucoup changé, si ce n'est... kei pointa du doigt ses propres cheveux.

il ne savait plus converser normalement avec les gens qui furent, autrefois, des éléments clés de sa banale existence.
kei amena son café à ses lèvres et en sirota les dernières gorgées. il en aura définitivement besoin d'un second.

- je dois t'avouer que j'étais étonné que tu me contactes. y avait-il une raison particulière à cela ?

il haussa un sourcil et bien que sa curiosité semblait légère, son regard était particulièrement... insistant.

La serveuse pose un verre d'eau devant moi, mais je n'y touche pas, malgré la soif qui me tiraille la gorge. Je n'ai pas envie de montrer que je suis soumis à un besoin aussi primitif que celui de me désaltérer. Et ce d'autant plus que je ne suis pas tout à fait à l'aise devant Kodama.
Le senpai que je connaissais était certes assez soigné, mais dans les limites du raisonnable. On devinait parfois, chez lui, quelque signe de négligence ; cela le rendait plus abordable. Mais l'homme que j'ai en face de moi a atteint un niveau d'excellence que je ne pensais pas possible. Quand il bouge le bras, la veste de son costume glisse le long de la chair sans le moindre pli. Je m'efforce de ne pas jeter un coup d'œil à ma propre chemise, que je devine un peu froissée ; j'ai dû dormir dedans hier, pendant l'après-midi. J'aurais sans doute dû en enfiler une autre ce matin, mais je n'en avais tout simplement pas envie. Je me demande si j'ai des cernes, d'ailleurs. Je n'ai pas très bien dormi, cette nuit.
Je ne regrette pas mon choix vestimentaire, assurément : je suis l'homme que je suis, et s'il m'écrase par sa propre élégance, eh bien soit. Je ne suis pas dominateur. Les vieilles habitudes ont la peau dure. Et je ne devrais pas vivre autant dans le passé.
Je passe la main dans les cheveux quand Kodama les pointe du doigt ; les éclats de turquoise commencent à s'affadir et le roux s'est terni. Un détail. Ma voice se brise nette, comme la vague s'échouant sans le vouloir sur un rocher. Je n'ai pas fait exprès, je suis simplement un peu mal à l'aise.
Je ne m'y trompe pas : cet homme est dangereux.
Encore heureux que j'ai l'habitude traiter avec les gens dangereux, dis donc. Sinon je me demande bien comment je ferais pour conserver ma tête sur mes épaules. J'ai beau faire preuve d'une prudence excessive, une part de moi semble se damner à observer l'abysse. Ah, je suis un danger pour moi-même plus encore que pour quiconque, si vous me demandez mon avis. Je suis très certainement le seul dans tout Kabuki à penser ainsi, cela dit.
D'ailleurs, moi aussi, je sais jouer avec mes yeux. Kodama-san, tout le monde n'a pas une raison précise de faire quelque chose. Parfois, il suffit d'une simple envie, et les gens la suivent sans se poser de questions. Façon de dire que ce n'est pas mon cas. Mais c'est bien plus que je n'ai pas vraiment d'envie, à part peut-être celle de rentrer chez moi le soir et de me moquer gentiment de Ban. Je n'ai pas vraiment le désir de renouer avec mon passé, pas plus que je n'en ai de m'assurer un avenir.
Je vis dans ce présent gris et informe, croulant sur des obligations que je me suis imposé pour ne pas mourir d'ennui. (Oh, mais quel mensonge.)
Mon propre café arrive, et je me saisis de l'anse en le regardant droit dans les yeux. Le bord de ma tasse frôle le bord de mes lèvres, mais je ne l'incline pas assez pour pouvoir boire. Je suis étonné moi-même d'avoir eu cette audace.
Au final, je n'ai pas du tout répondu à sa question.

I’m good at reading people.  My secret, I look for the worst in them.   musique - kei hocha la tête. il fit mine d'être totalement en accord avec les dires de son interlocuteur pour ne pas avoir à se lancer dans un débat qui lui ferait user de sa salive plus que nécessaire - il préférait nettement la conserver pour des fins bien plus utiles. plus... mh, à son goût ?

une simple envie, huh ? qui était assez idiot pour suivre de simples envies de nos jours ?
dans ses souvenirs, aoki n'était pas un idiot.

il ne l'était sans doute pas aujourd'hui non plus.

un idiot, c'est celui qui ne sécurise pas son intimité. un idiot, c'est celui qui parle trop - celui qui dit tout dans les moindres détails. ici, naoki se renfermait dans une sorte de carapace. se méfiait-il de kodama ? c'était pratiquement une certitude et il avait beau tenté de sourire presque plus chaleureusement que la normale, il ne parvenait pas à être convaincant. mais qu'avait-il donc vu chez kei qui aurait pu susciter son intérêt ? s'il n'avait pas pu le découvrir dans son dos, alors, autant attaquer de front.

- je vois, cette conversation le gonflait déjà, il en avait ras le cul et, heureusement qu'aoki ne semblait pas être monsieur-tout-le-monde et avait titillé sa curiosité, sinon il serait déjà parti, je pensais que tu aurais cherché à te rapprocher de tes anciens amis. mais je suis touché. il n'était pas du tout touché. alors, dis-moi... fit-il d'une voix traînante tandis qu'un second café arriva à sa table. qu'est-ce que tu es devenu après le lycée ? quelle voie as-tu choisi ?

Je ne suis pas naïf au point de croire qu'il ne remarquera pas ma manœuvre ; Kodama a toujours été intelligent. Mais le fait est qu'il n'insiste pas, et cela en dit long sur son comportement.
Je suis un stratège correct mais un piètre manipulateur. Il y a toujours une limite entre ce que je voudrais pouvoir faire et ce dont je suis véritablement capable. Je ne sais pas si je pourrai vraiment lui mentir. Toutefois, dans la mesure où ses opinions me sont inconnues, je n'ai pas le droit de lui dire la vérité.
J'avale ma première gorgée de café, étouffant une grimace parce que le liquide est un peu chaud pour moi. Je me rapproche de mes anciens amis et camarades, je démens, c'est ce qui m'étonne le plus. Le reflet de ses lunettes me déconcerte. Il a changé de montures, depuis le lycée, mais le verre qui lui protège les yeux déforme ses iris, et je ne m'étais jamais rendu compte que c'est un peu perturbant.
Je repose la table ; je n'ai plus le choix, je dois jouer ma comédie, et j'appréhende ce moment. J'ai fait des études en économie. Pas passionnant, mais mes parents ne m'auraient pas laissé faire autre chose. Ma voix se teinte d'un regret sincère. A choisir, je n'aurais certainement pas choisi un domaine commercial pour mes études ; ma vie ne m'a jamais tout à fait appartenu. Mais je crois que Kodama s'en serait douté. J'étais banal. Maintenant, je travaille dans le restaurant de mon grand-père. Et le jour... Je m'arrête.
J'allais lui sortir le mensonge coutumier, le travail en ville, les sorties avec les collègues, les promotions qui ne viennent pas. Au lieu de cela, je le dévisage pendant quelques secondes. Mais dis-moi, tu es informaticien, non ? Ça doit être bien. Le jour, je n'ai pas d'emploi. Je m'occupe autrement.

I’m good at reading people.  My secret, I look for the worst in them.   si seulement kei n'avait pas cherché à fouiller dans l'intimité d'aoki, il serait déjà mort d'ennui. il manqua de bailler et il serrer les dents de toutes ses forces pour ne pas de laisser aller et rester concentré - enfin, poli, surtout. tandis que son interlocuteur lui comptait l'histoire d'une vie qu'il aurait pu deviner, kei retira ses lunettes un instant pour essuyer les verres contre sa cravate et se frotter les yeux.

- des études d'économie pour finir dans le restaurant de ton grand-père ? demanda kodama en haussant un sourcil avant de refaire glisser ses lunettes sur son nez. dans tous les cas, tu n'as pas l'air spécialement ravi de ta situation. il disait cela avec un certain détachement. il ne cherchait pas à le blesser d'une quelconque façon, kei était tout simplement trop honnête.

il soupira, presque las, avant d'apporter son café à ses lèvres. un peu plus intensément que précédemment, il appuya son regard sur aoki.
ah... ce salaud, il avait quelque chose à cacher. oui. quelque chose clochait. il en était certain.

- je suppose que c'est bien, informaticien, ouais. il haussa les épaules. j'ai travaillé dur pour être le meilleur. ça m'arrive de bosser avec la police dans le domaine de la cybercriminalité contre de l'argent. kei ne balançait pas ces informations dans le vent, il n'était pas stupide. même si jouer les justiciers c'est pas vraiment mon délire, faut dire que ça me fait plutôt bien les poches et je ne vais pas m'en plaindre. il sourit, presque de façon mesquine. tu t'es trouvé un hobby pour tuer le temps le jour, du coup ? kei changea de sujet. là aussi, il ne le fit pas par hasard.

Depuis le début, j'ai un mauvais pressentiment qui se manifeste sous la forme d'une légère douleur dans le bas du ventre. Mes intestins n'étant guère fragiles, je sais bien que c'est une forme de détresse qui se joue de mon corps. Je ne suis pas à l'aise face à Kodama, mais j'essaye d'agir comme un homme banal, n'ayant rien à cacher. Non, pas vraiment ravi. Il voudrait que je reprenne le restaurant... moi ou Ban. On n'en a pas vraiment envie. Ce quotidien ne nous tente pas vraiment ; trop de routine, et pourtant j'en souffre déjà, avec mon métier. Prendre des précautions, recouper des informations, utiliser mon esprit maladroit pour monter des plans, c'est clairement enrichissant ; et déjà c'est beaucoup trop pour moi.
Kodama souffre-t-il de la routine ? Je l'ignore. Mais la raison pour laquelle, malgré ma volonté de l'approcher, je me sens en danger me paraît évidente.
A tous les coups, il a compris ma faille.
Je ne suis pas bête : je sais très bien qu'on ne trouvera rien sur moi en ligne. Il lui serait aisé de vérifier rapidement et de se rendre compte que je suis obsédé par cette sécurité. Oh, vraiment. Je souris sans joie. Tu es sur une affaire, en ce moment ? Non que je te demande de me raconter, je me doute bien que tu n'en as pas le droit, mais... J'ajoute d'un ton totalement anodin : Mon ordinateur est sans doute un de mes hobbys.

I’m good at reading people.  My secret, I look for the worst in them.   parfait.
il n'avait fallut que d'un dernier regard pour que kodama et aoki réalisent qu'ils savaient. ils n'avaient pas eu besoin de le dire explicitement, ils étaient visiblement tous les deux assez intelligents pour avoir remarqué quel genre de petit jeu agaçant était en train de s'instaurer entre eux. très vite, l'attention de kei se raviva - elle qui s'était presque endormie tout à l'heure.

- on m'a mis sur une affaire concernant un réseau de trafic humain. il croisa les bras en observant attentivement les réactions de son ancien camarade. c'est tout ce que je peux te dire.

termina-t-il en sirotant les dernières gorgées de son second café au lait.

donc, son ordinateur était devenu un hobby ? on était bien loin du petit étudiant en économie qu'on oubliait facilement. mais kei ne fut pas entièrement surpris. après tout, il n'avait pu accéder à aucun de ses réseaux.

- et qu'est-ce que tu fais sur ton ordinateur ? c'est vague, ça, aoki-kun. il ricana. tu pourrais te reconvertir dans l'informatique au lieu de te prendre la tête avec un restaurant.

J'attends quelque chose de lui. Et, à ce stade, je crois qu'il en est de même pour lui.
Je me demande ce que je représente à ses yeux. Ce qu'il cherche à obtenir en me tirant les vers du nez. Je doute qu'il ait la moindre idée de mon investissement dans les affaires de Kabuki. Même si j'ai laissé des traces, je pense que s'il avait pu remonter jusqu'à moi, il n'agirait pas ainsi. J'en suis persuadé car il fait preuve de trop de prudence. Il joue mais il n'a pas les bonnes cartes en main. Il n'appartient qu'à moi de les lui fournir, si je le désire. Mais, bien sûr, comme je ne sais pas ce qu'il me veut, je ne peux pas les lui donner, n'est-ce-pas ?
Tant que je ne me dévoile pas bêtement, bien sûr. Parce que j'en serais bien capable, idiot comme je suis.
Ah, c'est moche, ça, le trafic humain. Prostitution ? Ou autre chose ? Puis je me mords la lèvre. Oups, pardon, c'est vrai que tu ne peux rien dire. Je me demande s'il travaille vraiment sur cette affaire. S'il n'a pas choisi la tournure afin de me mettre mal à l'aise. Je suppose qu'une personne normale en serait émue ; mais je pense qu'il a compris que, pour ma part, en dehors d'une curiosité un peu malsaine, je ne ressens pas grand-chose.
Quand j'étais lycéen, je réagissais de façon assez similaire aux sujets sensibles. Il s'en souvient peut-être. En fait, ça fait un moment que je suis cassé.
Je joue, je bidouille. Parfois, je casse tout et je reboote. Je joue avec les codes. Je ne mens pas. Je m'amuse presque à faire preuve de tant de précautions.
Inclinant légèrement la tête, quelques mèches me tombant devant les yeux, j'ajoute : Me donnerais-tu des leçons, Kodama-senpai ?

I’m good at reading people.  My secret, I look for the worst in them.   il se contenta de hausser les épaules pour la énième fois. ce trafic humain était une grosse affaire qui allait lui rapporter un sacré paquet de pognon et il n'avait aucune intention de laisser tout ce fric lui filer entre les doigts. il déboiterait la mâchoire de quiconque oserait le détourner de ce but. qui plus est, bien que les valeurs du bien et du mal soient approximatives dans l'esprit de kei, il avait conscience que cela ne faisait pas parti commun des mortels que de chasser des cannibales... en utilisant la vulgaire technique du camouflage.

à la dernière question de l'autre homme, kodama décida de se pencher légèrement vers l'avant et se mit à lui parler tout bas.

- je ne pense pas que tu aies besoin d'apprendre quoi que ce soit venant de moi. son regard coulait le long de son visage, détaillant le relief de sa mâchoire puis de sa pomme d'adam un peu plus bas. tu joues, huh ? son sourcil droit se redressa. à cache-cache ? et son sourire s'étira.

Il sait quelque chose.
Ou plutôt, il ne sait pas, et c'est ce qui éveille sa méfiance.
J'avoue que c'est là une des failles auxquelles je n'avais pas songé. Ça m'arrive, de me tromper ; souvent c'est assez anodin, et je peux vite préparer un plan de secours. Je ne sais pas si je serai capable d'en faire autant avec Kodama. Ah, mais c'est bien pour cela qu'il m'intéresse. S'il ne me met pas un peu en danger, honnêtement, je m'ennuyerais bien.
Je reste aussi impassible que possible, malgré l'inquiétude et l'excitation qui se bousculent en moi. Je me sens animal, plus proche de ma nature humaine que je ne l'ai jamais été, et c'est plutôt agréable. J'ai conscience de son regard sur moi. Je me demande vraiment ce qu'il voit. On a toujours à apprendre d'un expert, Kodama-san. Surtout le meilleur dans son domaine. Je souligne le mot d'une pointe d'ironie, comme si je remettais en cause son talent ; en vérité, je ne doute pas qu'il l'est, et j'ai plutôt intérêt à ce qu'il ne me prenne pour cible. Pas sûr que j'y survive. Si j'étais si bon à cache-cache, tu ne me poserais pas la question.
Moi aussi, je sais quelque chose.
Bien, c'est mieux aussi ; toutes ces politesses commençaient à m'ennuyer. Je me recule un peu et achève ma tasse avec lenteur. J'envisage presque d'en reprendre, mais finalement je n'en ai pas envie ; j'ai attendu que mon café refroidisse pour ne pas me brûler mais, vraiment, une fois froid, ce breuvage est infect.

I’m good at reading people.  My secret, I look for the worst in them.   des flatteries ? urgh, laisse-moi gerber. pensa-t-il alors.
les yeux de kei roulèrent dans leurs orbites. l'acheter avec de beaux mots n'était certainement pas le meilleur des moyens pour l'entuber. pour le nombre de fois où ses partenaires l'avaient vanté d'être parfait et même un véritable génie, les petites attentions d'aoki rentrèrent dans une oreille pour en sortir par l'autre.

cependant, il était plutôt perspicace.
kei adorait les gens perspicaces.

quand il était d'humeur, il était presque prêt à les aduler la gueule grande ouverte. mais... aoki en valait-il vraiment la peine ?

- tu sécurises l'entièreté de ta vie sur internet. sache que c'est terriblement... terriblement... frustrant. soupira-t-il. bien, il n'avait, à présent, plus aucune raison de se cacher. bien entendu, j'aurais pu creuser davantage et j'aurais sans doute fini par trouver ce que je cherchais mais puisque tu es face à moi, autant te le demander directement. kei reposa son menton dans la paume de sa main tandis que son index encore libre alla caresser le rebord de sa tasse. qu'est-ce que tu veux cacher, aoki-kun ? qu'est-ce que les gens comme moi ne doivent absolument pas savoir ?

Repoussant ma tasse vide du bout des doigts, j'observe la réaction exaspérée de Kodama. Je n'ai fait que répéter le mot qu'il a employé, mais visiblement, dans ma bouche, l'effet n'est pas le même. Je me retiens de sourire. Flatter n'a jamais été dans mes habitudes, mais s'il le pense, vais-je vraiment le détromper ? Non, évidemment.
Je ne m'attendais pas à ce qu'il dévoile son jeu aussi vite. Admettre qu'il a fait des recherches sur moi ? Qu'il me considère comme frustrant - et je considère que cela veut dire suspect ? Il me prend de court et l'espace d'un instant, je le dévisage avec une surprise non feinte. Puis je me reprends, d'une voix douce : Ainsi c'est pour cela que tu as accepté de me revoir, hein. Moi qui espérais jouer sur le sentimentalisme... Bon, je suis peut-être le seul à ressentir un brin de nostalgie dans l'histoire. C'est noté.
J'ai l'impression de le regarder pour la première. Je le détaille à mon tour, ses cheveux de jais, ses yeux perçants, le soin beaucoup trop méticuleux qu'il attache à sa personne. Clairement, il ne ressemble pas à un informaticien, ni par son physique, ni par son comportement. Tout en lui crie le prédateur, le péril.
Pas de doute, il m'intéresse pour de bon.
Tu aurais très certainement trouvé quelque chose. Après tout, personne ne laisse aucune trace sur le web. On ne peut plus prétendre qu'on n'existe pas. Il existe des choses sur moi. Sur l'enfant que j'ai été, sur l'homme que je pourrais être. Je ne pourrai jamais effacer ces traces. Et rien que d'y penser, je me mets à rire. Tu as raison, cela dit. J'ai des choses à cacher, comme tout le monde.
En un sens, je suis un peu déçu, et je crois que Kodama va finir par m'ennuyer. Non que je vais renoncer pour autant. Je n'ai pas besoin de m'amuser pour remplir mes obligations. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi tu veux me le demander directement. Je n'arrive pas à croire que tu aies commis une telle erreur de jugement. C'est plutôt ennuyeux, non ? Pour qui me prends-tu, Kodama Kei ? Si tu me montres le piège, je peux plus facilement l'éviter.

I’m good at reading people.  My secret, I look for the worst in them.   kei était joueur. en revanche, il ne supportait pas la provocation et même s'il avait appris à calmer ses ardeurs au fil des années, on pouvait toujours voir son visage cette expression de hargne qui le forçait à froncer un sourcil à chaque fois. aoki se foutait de sa gueule - ou tout du moins, commençait à le faire. c'était bien suffisant pour lui donner envie de lui péter les dents et il devait s'estimer chanceux que kodama n'était pas du genre à frapper dans de telles situations. dans d'autres... oh, eh bien...

- j'aurais pu, oui. soupira-t-il. mais je n'avais pas spécialement envie de perdre mon temps pour découvrir quelque chose d'inintéressant et banal comme de la pédopornographie ou de la consommation de drogue à outrance. kei avait énoncé ces faits avec une simplicité déconcertante.

il faut dire qu'à force de côtoyer le dark web, il n'était plus surpris.
ou, moins facilement qu'à ses débuts.

- enfin. je suppose que si tu ne veux pas le dire, on va voir ça... ensemble.

sur ces mots, kei rouvrit son ordinateur et lança ses différents logiciels de hacking. il se leva, tourna l'écran vers aoki avant de se planter dans son dos. désormais, il avait accolé sa poitrine contre les omoplates de l'autre homme, son visage au-dessus de ses épaules, et commençait à taper des lignes de code interminables... juste sous son nez.
il n'avait rien à cacher, lui. il n'avait pas de technique particulière, ni de secret.

en quelques secondes à peine, différentes possibilités s'ouvrirent à lui.
à eux.

- alors aoki-kun, dis-moi... où est-ce que je trouverai le plus de réponse ? sur ton compte en banque... ? non ? tes sms, peut-être... susurra-t-il comme le ferait un serpent à son oreille. ta sécurité est vraiment impressionnante, je dois l'admettre. mais elle n'est pas insurmontable. puis, il ajouta, pressant presque ses lèvres contre son lobe : pas pour moi.