Date d'inscription : 17/02/2019

laisse moi boire en paix stp

Le mardi soir est le soir de la détente (le soir où Ryu Hikari prend un peu de temps pour lui, un peu de vrai temps). Kai n’est pas un drogué du boulot, mais en tant que trentenaire célibataire (divorcé), il n’a pas masse de distractions dans sa vie (et puis pas masse d’amis non plus il faut bien se le dire).
Mais Ryu prend toujours son temps le mardi soir. Méthodique, organisé, jamais pressé. Il est plutôt zen pour quelqu’un qui fait passer des stocks de Dusty M sur les fichiers d’une entreprise privée.
Sortie du boulot, dix-neuf heures. Cinq cent mètres. Petite rue tranquille, petit bar sympathique. Ryu n’est pas le seul à faire ça, il croise des gens qu’il connaît de vue, il salue, le gérant lui sort son verre, lui sort sa bière, la routine, l’habitude.
Ryu enlève ses lunettes, essuie les verres (méticuleusement) ; une fois, deux fois - est-ce qu’ils sont assez propres maintenant ? Ca fera l’affaire, et une première gorgée de bière. Ryu ne remet pas ses lunettes.

(Kai a de beaux yeux, quand il laisse les autres les regarder, quand il ne les baisse pas sur un dossier, quand il ne les utilise pas pour scruter les détails de votre costume mal repassé.)
Le gérant lui fait un sourire et s’occupe d’autres clients. Jamais très causant, Hikari, toujours pensif, souvent sur son téléphone à pianoter des mails, à vérifier des informations. Pas bavard, mais toujours aimable, toujours le même (un costume parfait, des cheveux coiffés, un timing calculé). Il reste au bar et personne ne l’embête.

Personne ?
D’habitude, oui. D’habitude Ryu reste une demi-heure, jamais plus, jamais moins, savoure sa bière en consultant son téléphone, parfois en regardant par-dessus le comptoir, pas vraiment de point précis, en train de penser (à quoi ? Trop de choses, sans doute).
C’est comme cela depuis longtemps, maintenant, presque des années. C’était sa petite soirée de liberté (une demi-heure, ça n’allait pas le tuer ?) ; et puis, le bar était assez discret pour qu’il ne soit pas reconnu par le premier venu. (Il y avait quelques désavantages à passer à la télé.)

D’habitude, oui. D’habitude, on ne l’aborde pas, d’ailleurs. Mais là, mais là il y a quelqu’un qui vient le déranger, et Ryu est fatigué d’avance, prêt à répliquer qu’il doit s’en aller - c’est vrai, il a fini son verre - mais il se retourne et se retrouve nez à nez avec -
“Ono ?”
Ryu est trop étonné pour vraiment s’offusquer. Pour une fois, il est surpris. Mais pas longtemps, une seconde, peut-être deux. Et puis, déjà, il se referme, se cache derrière sa carapace, derrière sa signature de DRH. Kai fronce un sourcil.
“J’espère que vous venez me déranger pour me présenter votre démission.”

(C’est agaçant, les gens qui viennent vous parler, les gens qui vous connaissent - c’est agaçant, les gens.)

Feat Sadao Ono

awful

Date d'inscription : 04/02/2019

Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche le facteur passe tous les jours comme toi tu bois tous les soirs dans des bars. T’y vas pas pour te « détendre » ou « décompresser » ou « prendre du temps pour toi » c’est que des conneries ça, toi tu sors pour voir le monde, toi tu sors pour sentir les autres, pour parler aux gens, pour te sentir vivant; toi tu sors pour échapper à la solitude de chez, toi tu sors pour entendre les autres.

T’écumes les bars, et t’as beau sortir tous les jours ça t’empêche pas de découvrir de nouvelles places et de nouveaux endroits; comme ce nouveau bar pas très loin. BON OK, t’étais sorti un peu avant l’autre DRH et dans la rue en cherchant un nouveau bar tu le vois entrer dedans. BINGO. GENRE, il t’indiquait clairement dans quel bar tu seras ce soir et quelle compagnie tu auras. Il t’ouvre la voie comme un messie et tu suis comme une brebis.

Tu entres, avec un sourire de satisfaction de bon couillon et, plein de sympathie - loin du boulot boulot - tu lui fous une claque dans le dos, sèche et gentille. « Monsieur le DRH… c’est pas sympa de m’accueillir comme ça » tu dis dans une moue faussement triste. Tu le regardes un long moment dans les yeux, tu as décelé sa surprise et c’est très content que tu fais signe au gérant de te servir une bière. « Tu mets sur son ardoise » Tu pointes Kai d’un signe de tête, sans gêne, après tout, il est pété de thunes alors tu t’en fous royalement.

Tu tires une chaise et la colle près de la sienne, ton genou effleure le sien et tu lui offres ton plus beau sourire candide. « Relax, chill, on est entre couilles » tu dis. « Et entre couilles, on parle pas boulot »

Tu sais, oh tu sais combien ce genre de phrases ne lui plaît pas, tu sais que quand il n’y a pas de « sophistication » de mes-couilles ça lui convient pas mais ton challenge ce soir c’est de l’entendre parler comme toi, comme deux potes, comme deux cons. T’attrapes ta bière fraiche et regardes les bulles grimper le long de la paroi et tu avales une large gorgée qui frétille dans ta gorge, tu soupires de contentement, tu te désaltères rapidement et regarde Kai pour qu’il termine son verre. Tu n’oses pas commencer la discussion tout de suite. Aussi, dès qu’il finit, tu commandes une deuxième tournée. « Tututu, c’est pour moi »

Sur un pied d’égalité, tu lèves ton verre pour trinquer.

« T’as des choses à raconter hors boulot, toi ? » Tu insistes sur le tutoiement dans un grannnnd sourire, penché sur lui, un bras sur le dossier de ton collègue. « Y’a plein de drama qui courent dans les couloirs du taff, mais parlons pas d’ça… on t’attend chez toi c’soir ? » Parce que, si non, tu auras encore moins de scrupule à le garder toute la nuit.

Date d'inscription : 17/02/2019

laisse moi boire en paix stp

La proximité, ses paroles, sa manière de sourire et de prendre des décisions sans demander l’avis de personne : ça agace. Kai se renfrogne encore un peu plus, désagréable, prêt à partir (prêt à fuir, fuir le contact social, dérangeant, inacceptable et désagréable de l’autre - prêt à abandonner sa seule interaction vraiment sociale de la journée). Derrière un bureau, Ryu parle peu, le strict minimum, quelques mots à la secrétaires, quelques autres au téléphone - Ryu parle peu mais et il s’y est habitué, de manière général, il n’est pas bien bavard. Oh, qu’aurait dit Kaitlin si elle l’avait vu ainsi ? Elle aurait ri sans doute (elle riait tout le temps), le Ryu qu’elle connaissait a bien changé - le Ryu qu’elle connaissait n’aurait pas eu ce claquement de langue agacé.

Et pourtant, et pourtant, Kai reste, Kai regarde le nouveau verre de bière qui s’est posé devant lui, regarde Sadao Ono qui a ce sourire insupportable aux lèvres, regarde le patron du bar qui est déjà reparti (il sourit, se moque-t-il de lui ? Non, il n’oserait pas, il n’est pas comme ça - le patron du bar sourit parce que c’est quelqu’un d’heureux, par nature, mais Kai ne comprend pas ça), Kai a le sourire figé de la communication télévisée, Kai a les sourcils froncés de l’exaspération et-
Et il prend une gorgée de la bière offerte, en ignorant la trinque, en ignorant l’homme assis à côté de lui dont le genoux frôle le sien de façon si désagréable - mais c’est un petit bar, un petit comptoir, Kai supporte, pour l’instant.

Pourquoi bois tu ?
Pour oublier.
Pour oublier quoi ?
Que je bois.
Ryu n’est pas sûr de ce qui l’a poussé à prendre ce verre, peut-être le défi dans les yeux de Ono, son propre ego, son envie de montrer à l’autre imbécile qu’il n’est pas aussi inhumain que tout le monde prétend qu’il est. Il y a un air de méfiance dans le regard de Ryu, méfiance saupoudrer de curiosité, d’appréhension, Kai n’aime pas perdre le contrôle, il boit lentement.

“Je ne vois pas en quoi ma vie privée vous concerne.” Le tutoiement ne passe pas les lèvres de Ryu (ça serait trop familier, trop… personnel - cet échange ne devait pas devenir personnel)(et pourtant, Kai a accepté de boire, alors quoi maintenant ?) “Que faites-vous ici ?” Kai apprécie le silence, le sien, pas celui des autres, il préfère encore qu’on lui parle, il peut alors ignorer, faire sembler d’écouter, et prévoir ce qu’il doit dire ensuite (mentir). Et puis, Kai n’est pas stupide, il sait que Sadao ne va pas le laisser tranquille, et il préfère le maîtriser le temps d’une bière, plutôt que de l’avoir à dos le reste de la vie.

Kai reprend une gorgée en fermant les yeux.
(C’était si étrange, de parler à quelqu’un, de vraiment parler, pour changer.)

Feat Sadao Ono

awful

Date d'inscription : 04/02/2019

T’engloutis ta deuxième bière comme un jus d’orange frais, les bulles pétillent dans le fond de ta gorge et ça te donne l’impression d’être désaltéré à souhait. Tu tapes le cul du verre sur le comptoir dans un gros bruit sourd, étouffé par le dessous de verre et tu fais signe d’une troisième tournée pour vous deux, tu commandes un petit shot pour chacun de vous, tu commandes l’alcool pour dérider ton supérieur, tu demandes de l’alcool pour effacer son air figé, son air fixe comme une image télé.

Tu regardes les différents breuvages qui n’attendent qu’une chose : celle d’être vide comme la vie ou s vie à lui. Il te fait beaucoup de peine derrière son bureau à miauler pour le moindre bruit, à sauter sur la moindre souris, alors qu’il ne sourit jamais vraiment, alors que jamais un son de joie n’est jamais réellement sorti du fond de son poitrail. Tu colles un peu plus ton genoux contre le sien, c’est ton moyen d’avoir un contact et tu tapotes le bar de tes huit doigts, les pouces s’enfoncent sous le rebord, pensif. Tu lui claques la cuisse d’une main amicale, gentille mais ferme et tu lui offres le shot - whisky caramel. C’est dégueulasse, mais le sirop noie l’alcool dans le sucre et on dit que ça passe mieux; on dit.

« En vrai ta vie privée j’’m’en fiche kiki, je suis là pour m’amuser, c’est pas trop ton cas hein ? T’as ramené des dossiers c’est ça ? »

Tu lui lances un sourire plein d’orgueil et de fierté et tu pointes son shot du bout du menton. « Tu sais t’amuser, K-a-i ? » Tes babines se retroussent quand tu insistes sur le « i » en un sourire encore plus denté, encore plus grand, encore plus vorace. « Ou t’es juste une pauvre façade OLMS ? Je suppose que si c’est le cas, t’es bien seul chez toi hein et que t’as la soirée pour me montrer que t’es pas un pantin mais en vie » T’y vas cash, à quoi bon poireauter et tourner autour du pot avec lui ? C’est pas comme si on pouvait te virer avec tout ce que tu sais, tout ce que tu as fait, et tout ce que t’as promis de faire.

« Cul sec ? » dis-tu en parant ton bras en l’air, prêt à boire, prêt à ressentir dans le gosillot la liqueur super sucrée et brûlante; tapissez-vous l’estomac les gars, de cette robe dangereuse, de cette nappe écœurante et pourtant joyeuse et conviviale. L’alcool ça rapproche, n’est-ce pas, alors laisse moi être proche toi, Kai, ouvre un peu ton sourire et tes yeux. Acte I : GET DRUNK.