MUSIQUE - Tu souris lorsqu’il te confesse vouloir ne pas être oublié. Les humains ont des rêves parfois si simples, d’autrefois si compliqués - en cela, ils t’étonneront toujours. S’il t’avait dit vouloir voler comme un oiseau sous cette pluie, le temps d’une nuit - tu aurais exaucé son souhait. Cela t’aurait coûté quoi ? Un mois de ta vie ?

Ne pas être oublié.
C’est un souhait que tu n’as pas besoin d’exaucer.
Un je ne sais quoi te susurre au coeur qu’il ne sera pas oublié.

Tu ne seras pas oublié.

Il ne sera pas oublié.

Lorsqu’il te tend l’appareil photo et que tu regardes le cliché, aussi niais cela puisse t-il paraître - ton sourire s’étire jusqu’aux oreilles et tes joues rosissent. C’est si joli… Si joli... Une lune comme tu les aimes, piégée dans ton lieu favoris, nimbée de violet - à jamais, pour toujours.

Sa veste sur tes épaules, le parapluie, cette photo, les lumières de la ville, le cadre… Tu as un côté très romantique, Hara-kun. Tu roucoules à ses oreilles avant de rire, non mécontent de susciter un léger embarras à la situation. Une situation dont tu ne vas pas te plaindre - ce n’est pas tous les jours qu’on te fait les honneurs d’être bichonné avec gentillesse.

En même temps, de gentillesse, tu n’en mérites pas. Ce n’est pas tant que tu la cherches ou qu’il faille te plaindre - tu ne la mérites pas, vraiment pas, c’est tout. La logique veut qu’une personne dont les actes sont justes et bons puisse jouir elle-même d’actes justes et bons. Lorsqu’une personne dont les actes sont mauvais prétend à cela, c’est irrationnel.

Il t’apparaît soudain que cet instant, que tu vis à ses côtés, est un énorme rictus cruel et barbare que tu exposes à la vue de toutes les âmes que tu as envoyé au repos forcé - si tant est qu’elles le soient réellement, en repos.

Tu soupires.

Or l’heure n’est pas à la déprime - que tu mérites cet instant ou non, tu comptes bien le poursuivre et le conclure sur une note sereine.

Reposant le parapluie au sol, tu t’installes face à lui et entreprends de passer une main dans ses cheveux, de sorte de les dresser en l’air - lui donnant un côté un peu tape-à-l’oeil, ou hérisson fou, au choix. À nouveau, tu ris. Mmmh, tu ferais un bon escort tu sais, avec ta gueule de diablotin et ton look de rêveur.

Une gueule de diablotin qui a de bonnes joues - de bonnes joues que tu étires comme du caoutchouc. Peut-être que je devrais te convertir ! - proposition loufoque que tu supplantes d’un clin d’oeil facétieux. Puis, tu finis par le lâcher et par reprendre le parapluie, adoptant des airs plus sérieux et hautains - sans te départir de ta facétie. Mais tu me ferais de l’ombre… Donc, non.

Le temps a filé - tu le devines à l’obscurité plus profonde de la nuit. Il est temps de revenir à la réalité… Sans doute.

Pouvons-nous redescendre ?

Une réalité sans lune violette et sans pluie extatique.
Sans doute…

MUSIQUE - Il n’a pas l’air très doué avec les adieux, tu ne l’es pas non plus. Tu ne le reverras certainement jamais mais, au moins, tu pourras admirer ses photos. C’est plutôt chouette - et son pseudonyme ne t’étonne pas. Ça te fait même un peu rire - t’imagines qu’un jour, il finira par se transformer en pluie. Cela te donnerait une raison de l’apprécier un peu, cette maudite pleureuse…

Merci à toi. Tu lui glisses discrètement une fraise tagada dans la poche, ainsi que ton filtre violet avant de lui rendre son parapluie. Tu appelleras un taxi, pas la peine donc de le conserver pour qu’il te rappelle, lorsque tu tomberas dessus dans ton appartement, que la liberté n’est pas impossible.

Tu tournes les talons, agites une main en l’air puis déclames d'une voix chaude - Ne deviens pas une brique dans un mur mais le marteau qui les casse. - avant de disparaître à l’angle de la ruelle.

Aussitôt, ton sourire se dissipe et ton regard s’assombrit.
L’accalmie est terminée.
Demain ne meurt jamais.