Installé à une table sur la terrasse opposée, la paume de la main calée au coin de ses lèvres comme appui, il observait. Tel un faucon guettant sa précieuse proie, il ne la quittait pas des yeux, suivait le moindre de ses faits et gestes, et maintenait toujours une distance respectable afin de n'éveiller aucun soupçon. Elle était si belle. Peut-être même plus belle que le souvenir qu'il en gardait lors de cette vie d'antan aujourd'hui tristement révolue. Ce sourire si familier qu'elle esquissait élégamment, cette magnificence sans égal malgré ce nouveau visage qu'elle arborait, cette délicieuse aura qui n'appartenait à nul autre qu'elle-même; nul doute qu'il s'agissait bien de sa dulcinée. Cette nouvelle apparence ne pouvait guère le duper, lui qui se savait capable de la reconnaître entre milles. Pourtant, la simple idée de l'approcher relevait d'un défi d'un nouveau genre...

Comme au premier jour, leurs regards s'étaient croisés en silence, au cœur de l'inconnu. Comme au premier contact, une étrange confusion s'était installée entre eux deux. Et comme au premier instant, aucun d'eux n'avait donné suite à cet échange trop banal et trop bref. La seule différence notable cette fois-ci ? Il la connaissait sur le bout des doigts, mais elle ne savait strictement rien à son propos. Une effroyable vérité qu'il put lire dans ces yeux et qui perça ses espérances sans scrupule, aucun, l'obligeant ainsi à battre en retraite. L'ignorance qu'elle lui témoignait attisait son anxiété grandissante, et son indifférence ne manquait jamais de retourner le couteau dans la plaie. Car si ses souvenirs de cette autre vie désormais dévastée n'étaient déjà plus...


Ses éclats de rire arrachèrent un sourire à Yuuma, avant qu'elle n'essuie une petite larme au coin de son œil. Tomoe avait toujours été friande des anecdotes de son ami, lesquelles lui semblaient tout droit sorties d'un livre sinon d'un film. Parfois elle peinait même à le croire et se disait qu'il prenait un malin plaisir à la mener en bateau. Sans doute avait-il cette habitude de surenchérir pour embellir un peu plus ses histoires, mais fondamentalement il ne mentait pas, non.






Le sourire malicieux de la demoiselle céda place à un visage plus doux, avant qu'elle ne vienne se poster à ses côtés. Les quelques morceaux de cadavre qu'elle avait elle-même dérobé au funérarium où travaillait son père étaient encore intacts; un constat qui la fit soupirer longuement.





À son tour, Haku laissa un soupir s'extirper d'entre ses lèvres, invitant ainsi un léger silence à s'installer entre eux deux. Baissant les yeux, Tomoe reprit alors d'une voix plus clémente pour faire un bilan de la situation.
Marié à une sublime kasha qui répondait au doux nom de Maemi, Haku vit son propre monde tomber en ruines lorsqu'il constata, par le plus grand des regrets, que sa bien-aimée n'avait gardé aucun souvenir de son être, suite à leur arrivée impromptue à Funky Town. Le regard interrogateur qu'elle lui avait adressé dès l'instant où il pensait l'avoir retrouvée hantait ses songes aujourd'hui encore.
Cependant, tout n'était pas totalement perdu selon la jeune fille. Une amnésie de cet ampleur n'avait rien d'insurmontable, à l'entendre, elle était même quelque peu anodine. Une remarque qui lui valut un regard à la fois plein de reproches et de scepticisme avant qu'elle ne lève la main, comme pour lui signaler qu'elle n'avait pas terminé. L'objet de leur séparation n'était qu'un mauvais tour du destin, mais ce n'était en aucun cas une cause perdue. Bien que plus facile à évoquer qu'à mettre en pratique, Tomoe avait une idée, à défaut de détenir la solution miracle.



Des mots si simples qui vinrent pourtant tambouriner l'esprit du kasha déjà émotionnellement épuisé. C'était un tout nouveau monde qui s'étendait à ses pieds, avec pour unique limite celle d'un mur qui n'avait de cesse de diviser l'opinion publique. Rien de très surprenant dans le fait que Haku s'en retrouvait quelque peu dérouté, Tomoe le comprenait parfaitement. Mais c'était précisément la raison pour laquelle il se devait de retrouver un pilier pour le soutenir, et plus encore s'il se languissait de la présence de sa belle. Rebâtir pour s'élever vers de nouveaux horizons, et pourquoi pas aspirer à une vie au-delà de cette prison de verre; une vie qui, pour l'heure, relever de l'utopisme mais toutefois pas totalement hors de portée, selon Yuuma.







Un refus si spontané et concis que même Yuuma s'en était étonné avant d'étouffer un rire moqueur, tandis qu'une mine renfrognée déformait le visage de la demoiselle. L'instant suivant, les deux jeunes gens s'étaient engagés dans un rapport de force verbale, l'un amusé, l'autre embarrassée. Perdu dans ses réflexions, le kasha fit toutefois abstraction de cette prise de bec enfantine; Tomoe n'avait pas tort, il se devait de se ressaisir. Se laisser aller à tant de vulnérabilité ne lui ressemblait guère, il devait garder la tête haute et partir à la reconquête d'une vie meurtrie mais pas perdue pour autant. Ce qu'il ignorait, en revanche, c'était qu'une fatalité mesquine se terrait déjà dans l'ombre, attendant le moment le plus opportun pour frapper plus fort encore...


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