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funky town
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Funky Town, c'est une ville, au Japon. Puis, une explosion, une brèche, un monde parallèle, des monstres, un mur qui se construit, une histoire qui s'enflamme, une population qui se chamaille sur des sons groovy et disco. Tu n'as rien compris ? Très bien, tu peux aller lire le contexte et les intrigues !


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Kiril Karajan
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curiosity expectations / banri UNE OEUVRE DE Kiril Karajan Mar 5 Fév - 22:12






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Je regarde ma liste. Il me reste à acheter : des poireaux, des navets, des tomates, des carottes, du céleris, 450g de viande de boeuf, des os à moelle, de la fleur de sel et de la crème fraîche. Je regarde mon caddie. Il me paraît déjà bien rempli.

Je me demande.
Pourquoi ai-je décidé de faire un pot au feu et non pas une simple entrecôte ? Mes caprices me ruinent. Tant pis.

Je me dirige vers le rayon boucherie. Je regarde les paquets lyophilisés qui s’entassent derrière la vitre réfrigérée. J’en prends un, je l’ajoute à mes autres courses dans le caddie. Une vieille dame à côté de moi m’observe, je sens son regard chercher le mien. Je le lui offre. Je peux vous aider ? Elle me sourit. Vous y connaissez-vous en viande bovine ? J’aimerais cuisiner un bon ragoût mais je ne sais quelle race choisir. Le dernier ragoût que j’ai mangé était à base de viande de race chinoise. Une génisse de trente-trois ans, à la chaire légèrement trop persillée.

Je souris.

Une viande qui mijote en sauce ne doit pas être trop grasse. Je vous conseille un boeuf français, la race limousine. Ils en vendent ici. Aussi je vous recommande de conserver le jus de la viande, cela ajoute du goût à la sauce. Son sourire s’étire, ses yeux pétillent. Oh, je vois ! Merci, merci beaucoup. Elle s’incline. Elle s’en va.

Je me dirige à présent vers le rayon maraîcher. Je ralentis en longeant les étales de légumes, cherchant celle dédiée aux tomates. Je les aperçois, sur l'étale du fond, à droite. Je me dirige et -

Le fracas du métal me ramène à moi. Je suis quelque peu hébété. Je touche machinalement le haut de mon crâne : rien. J’entends des personnes s’enquérir de mon état - de notre état. Je me lève, je redresse mon caddie, je ramasse la boîte de chapelure, les sachets d’aromates et la spatule en bois qui jonchent le sol.

Je rassure les curieux d’un geste chaleureux de la main gauche.

Je regarde celui à qui je dois le « notre ».

Oh. Je dis, légèrement surpris de voir celui dont j’aurais souhaité payé les services, quelques jours plus tôt et qui a poliment refusé que je le fasse. Je suis désolé pour le désagrément, j’avais les tomates à l’esprit. Je le fixe. Votre visage me plaît toujours autant. Je dis.

J’attrape un sachet cartonné du distributeur situé derrière lui. Je le remplis avec les tomates que je choisis minutieusement. À côté, il y'a les navets. C'est parfait. C’est un hasard dont je suis content, vous ici. Je le fixe à nouveau. Quelle expression ? Quelle est celle que son visage va modeler via ces traits si souples ? Quelle émotion s’y cachera ? Je le fixe. Je déchiffre.

C’est un hasard dont je suis content.
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banri
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Re: curiosity expectations / banri UNE OEUVRE DE banri Mer 6 Fév - 19:43

La corvée de courses changeait de corvéable toutes les semaines : ce jour-là, c'était tombé sur moi. Il paraissait que c'était l'un des inconvénients de la vie d'adulte ; pour ma part, je ne m'en plaignais. Notre grand-père était bien trop âgé pour faire les courses lui-même, il lui fallait se ménager le dos. Quant à mon frère, sa gestion de l'argent, pour des raisons indépendantes de sa volonté, laissait à désirer. Au moins, je savais que j'allais bien manger cette semaine, même si je n'étais celui qui cuisinait.
Notre famille défendait une cuisine japonaise des plus traditionnelles, mais à titre personnelle, j'aimais bien varier les plaisirs et goûter des recettes du monde entier. J'adorais les cuisines mexicaines et indiennes, par exemple, en particulier lorsqu'elles étaient bien relevées ; mais j'appréciais parfois des plaisirs plus simples, comme une bonne quiche par exemple. Préparée avec des poireaux bien frais, c'était un véritable délice.

Si je n'étais pas grand cuisinier, j'avais l'œil pour repérer les fruits et légumes abîmés : peu de gens les manipulaient avec autant de soin que moi, ce qui expliquait qu'ils étaient parfois cognés et se gâtaient plus vite. Quand on a peu d'argent et qu'on veut manger frais, on a intérêt à ce que les légumes se gardent.
Mais à chercher avec trop de concentration, je ne vis pas un caddie foncer vers le mien et me déséquilibrer.
Je manquai de peu d'écraser les pêches situées au bas de l'étal en basculant vers l'avant, mais celles que je tenais dans mon sachet s'écrasèrent impitoyablement sur leurs consœurs, ce qui me condamnait à en chercher de nouvelles. Je n'étais pas en colère, pas pour si peu, mais j'attendais au moins des excuses de circonstances pour avoir été bousculé, excuses que j'aurais accepté de bonne grâce, parce que ce n'était vraiment pas important. Mais elles ne venaient pas immédiatement : j'eus le droit à un « oh » surpris qui éveilla ma curiosité et me poussa à me retourner vivement.
Ma réaction fut à peu près similaire à la sienne - un beau « oh » faisant parfaitement écho au sien, parce que je ne m'attendais pas vraiment à rencontrer Kiril dans un supermarché. Ce n'était pas vraiment un ami, ni vraiment un client - je n'avais pas vraiment décidé ce qu'il était, ni même si je l'appréciais vraiment, mais je pouvais dire qu'il m'intéressait, d'une certaine manière.

J'écartai rapidement ses excuses, troublé par ce compliment que je ne comprenais pas vraiment. J'avais un beau visage, qui, je le savais, pouvait être attirant, mais j'avais l'impression que ce n'était pas de cela que Kiril parlait lorsqu'il le trouvait plaisant. Comme toujours lorsque je me sentais sceptique, je laissais l'information de côté, avec un peu de chance, il allait oublier ce qu'il m'avait dit, et ça m'épargnerait de devoir lui trouver de quoi répondre.

« Un hasard, vous avez bien raison. » répondis-je en sortant toutes mes pêches de mon sachet pour les remplacer par des spécimens épargnés. « Mais moi aussi, je suis content de vous voir, Kiril. J'ai beaucoup repensé à vous depuis la dernière fois. Vous me faites de la peine, vous savez ? »

Puisque ce n'était pas mon client - j'avais été formel à ce sujet, je ne prenais aucun humain en consultation -, je pouvais me permettre de me montrer un peu plus honnête. Il pouvait être l'être le plus tordu du monde, je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir touché en le voyant essayer de trouver la paix intérieure auprès d'un psy - et je ne savais pas encore à quel point il pouvait être dérangé.

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Kiril Karajan
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Re: curiosity expectations / banri UNE OEUVRE DE Kiril Karajan Mer 6 Fév - 22:35






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« Mais moi aussi, je suis content de vous voir, Kiril. J'ai beaucoup repensé à vous depuis la dernière fois. Vous me faites de la peine, vous savez ? »

Je hausse un sourcil. Je pose le sachet cartonné contenant mes navets dans le caddie. Je m’avance à hauteur de sa vue. Je m’aligne parfaitement face à lui. J’occupe son horizon. Je me penche en avant. De la peine ? Je répète, mécanique. Pourquoi ? Une dame nous regarde tandis qu’elle passe à notre gauche. Un homme nous regarde tandis qu’il passe à notre gauche, en sens inverse. Suis-je trop prêt ? Est-ce anormal ?

Je recule.
Je souris.
Je glisse nonchalamment ma main droite dans ma poche droite.
J’adopte une attitude décontractée.
Je ne suis plus source de regards flâneurs.

J’essaye d’analyser par moi-même la raison de sa peine à mon égard jusqu’à ce qu’il me réponde. Ai-je faussé, à un moment donné au cours d’une de nos précédentes entrevues, une de mes expressions faciales de sorte qu’il ait cru ou imaginé que je sois triste ou qu’il me soit arrivé quelque chose de triste ?

Je réfléchis.
Il est content de me voir. Il a beaucoup repensé à moi.
Est-ce une déclaration ?

Je le fixe. Je maintiens mon sourire. M’appréciez-vous ? Dans mon troisième carnet de notes de cette année j’ai noté, à la page six : se faire du souci ou s’enquérir du bienêtre d’une personne révèle un attachement affectif à celle-ci ; penser régulièrement à une personne sans animosité ou colère révèle un attachement affectif à celle-ci.

Je réfléchis.
Non. Je ne distingue pas les attraits de l’affection dans ses gestes ni dans le timbre de sa voix.
Je ne comprends pas.

Accepteriez-vous de boire un café en ma compagnie après les courses ? Je souhaite encore vous parler et vous regarder. Je dis, très simplement.
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banri
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Re: curiosity expectations / banri UNE OEUVRE DE banri Jeu 7 Fév - 15:00

Tel un oiseau de chasse, Kiril s'accrochait au moindre de mes mots, les étreignant de ses serres assez fort pour les faire éclater. Il semblait tout prendre au premier degré ; ou plus précisément, il semblait avoir du mal à distinguer les formules de politesse, que l'on disait sans vraiment les penser, le sens premier des mots, dépourvus de toute subtilité, et les légers indices, que chacun d'entre nous égrainait sans même y songer. Même lui en laissait traîner quelques uns : sa façon de corriger sa position, en reculant légèrement et en feintant une attitude plus détachée, criait cette insécurité sociale qui le rongeait, et dont il n'avait peut-être pas entièrement conscience.

« C'est plutôt un peu de pitié. » corrigeai-je en glissant mon regard vers sa main camouflée. « Vous n'avez pas l'air aussi à l'aise en public que ce que vous voulez bien le montrer. »

Oh, j'aurais probablement dû le montrer à un de mes confrères, qui aurait su régler ce problème, et tous ceux que je n'avais fait qu'entrapercevoir lors de notre première discussion. Je savais déjà que Kiril accumulait les problèmes - je ne savais pas encore lesquels, mais j'avais quelques doutes. Je savais déjà que ce n'était pas un obsédé sexuel - son regard n'était guère si lubrique, après tout, même lorsqu'il me regardait fixement. Il ne semblait pas être fétichiste non plus. Mais quoi, alors ? Un de mes collègues aurait sans doute pu déchiffrer ce mystère plus efficacement, et venir en aide à ce pauvre Kiril dérangé.
Mais moi, avais-je vraiment envie de l'aider, ce Kiril ?

« Et puis, c'est difficile d'apprécier quelqu'un qu'on connaît à peine, n'est-ce pas ? »

Complètement faux. On avait déjà fixé notre propre avis sur un inconnu avant même qu'on se rende compte qu'on l'avait regardé. Ce n'était donc pas impossible d'apprécier quelqu'un aussi rapidement. Simplement...
Je ne savais pas si je l'appréciais et je n'allais pas le lui dire.
Kiril semblait malgré tout avoir une légère fixation sur ma personne - et mon visage, car il me demandait de prendre un café avec lui quand j'aurais fini mes courses. Son esprit semblait tourner à vive allure, trop rapidement pour que je puisse le suivre. Ce qui n'était pas très important car je n'étais pas en consultation.
Je reposai la dernière pêche de mon sachet, un brin désolé de la situation. Il me restait encore tous les frais à aller chercher et je n'avais toujours pas rempli mon sachet de pêches. Devoir recommencer ma collecte, c'était ça qui me contrariait. Quant au reste... difficile d'évaluer ce qu'il valait mieux faire. Soit je terminais une bonne fois pour toutes la corvée des courses, soit je laissais tout tomber pour une discussion qui se révélerait à nouveau intéressante... les deux choix se valaient.

« Ça dépend, conclus-je en inspectant un nouveau spécimen fruitier. Si vous en avez encore pour longtemps ou non. Si vous avez presque fini, j'abrège, ce n'est pas un souci. »

Elle n'était pas belle, je la reposai.

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Kiril Karajan
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Re: curiosity expectations / banri UNE OEUVRE DE Kiril Karajan Jeu 7 Fév - 19:50






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Oh. Je vois. Je lui inspire une forme de pitié. C’est curieux. Elle me fait défaut et il m’en fait preuve - la belle ironie. Je soupire. Je regarde à nouveau ma liste de courses. Je regarde mon caddie. Je regarde l’heure qu’affiche ma montre automatique. Je regarde autour de moi. Le magasin ne se désemplit pas.

Il me reste très peu d’articles à acheter. Je dis, avant de pointer ma liste d’un doigt à l’horizon de sa vue. Je la range. Je réajuste le col de mon manteau. Vous avez raison, je ne suis pas à l’aise en public. J’étire mes joues de mes mains. La grimace doit être absurde. C’est ce visage. Il ne se modèle pas facilement.

Je souris.

Si je veux terminer rapidement mes courses, je dois m’y remettre dès à présent. Retrouvons-nous à la sortie du centre commercial. Je vous attendrais. Je conclue ma proposition en tournant les talons.

Lorsque les onze minutes qu’il m’a fallut pour compléter ma liste s’achèvent, je suis dans la file d’attente de la caisse numéro deux. J’écoute le bip répétitif des articles qui se font scanner. J’écoute une autre cliente converser avec la caissière d’à côté sur la nouvelle loi concernant le prélèvement des impôts à la source. J’écoute les rires d'un petit garçon face à l’air niais de son chien dont la langue semble prête à se décrocher tant elle pend.

Je salue la caissière de la caisse à laquelle je suis lorsque mon tour vient. Je souris. Je range mes courses très soigneusement dans de grands sacs de toile. Je paye par carte de crédit. Un montant total de 12 003 Y. Je souris. Je m’incline. Je souris. Je me dirige vers la sortie. J’offre un hochement de tête polis au vigile en passant les portes coulissantes. Je regarde ma montre.

Je vois mon invité arriver. J’attend qu’il soit à ma hauteur. Il y’a un Starbucks à deux pas, dans l’allée adjacente. Je regarde la direction que j’indique. Mon regard se perd trois secondes sur une vitrine proposant des ustensiles de cuisine. Je regarde mon invité. J’aime beaucoup leurs cafés. Je dis, un soupçon coupable.

C’est une chaîne. Les grains employés par la compagnie ne sont pas les meilleurs du marché. Leur technique de torréfaction n’est pas la plus saine. Or voilà, j’aime leurs cafés. C’est un fait.

J’entame la marche. Je cale mes pas au rythme des siens. Je ne le quitte pas des yeux. Apprécier une personne requiert donc du temps ? Je demande, intéressé. Je me doute que la réponse est affirmative. Or j’aimerais comprendre pourquoi elle l’est.

Si je continue à vous fréquenter, je vais donc finir par vous apprécier ? Combien de temps exactement est requis ? Est-ce qu’il m’en faut plus que la moyenne, si j’inclue mon souci d’empathie dysfonctionnelle ? Est-ce que l’empathie est un élément à inclure dans l’appréciation d’une personne ?

J’ai beaucoup de questions à lui poser. Je dois les lui poser sans me presser.
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banri
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Re: curiosity expectations / banri UNE OEUVRE DE banri Ven 8 Fév - 19:21

Je n'aurais su dire si j'avais de la chance qu'il était pratiquement venu à bout de sa liste de courses, mais j'admirais les gens capables de faire d'autant de rigueur que Kiril dans les affaires du quotidien. Comme je ne savais pas vraiment cuisiner ou gérer un foyer, j'avais beau élaborer une liste, c'est en me rendant dans les rayons que je constatais tout ce que j'avais oublié - et j'en oubliais encore.
« Allez-y, je vous rejoins. » répondis-je distraitement, sans vraiment prêter attention à ce qu'il m'avait dit.
Je commençais déjà à m'habituer à son étrange personnalité : il avait perdu de son caractère inconnu et déroutant pour se draper d'une singularité quelque peu familière. J'avais décidé de ne plus me faire son reflet en arrêtant de prêter à chaque instant une attention pointilleuse à la signification exacte de ses mots. J'avais déjà compris que Kiril n'était pas très à l'aise avec l'expression de ses émotions, et ce n'était pas l'objectivation de sa face dont il témoignait dans ce rayon primeur qui allait davantage me renseigner.
Tout à mon tri minutieux, je ne remarquai même pas qu'il était parti, sa présence trop vide pour qu'elle se distingue vraiment de son absence. J'avais tripoté un nombre incalculable de pêches sans trouver celles qui me plaisaient, et la mémoire de celles que j'avais reposées se faisait de plus en plus vacillante.
« J'en ai marre. » fis-je à haute voix, sans me soucier d'être entendu par quiconque.
Je laissai les dernières pêches cognées dans mon sachet.


J'avais presque oublié l'invitation de Kiril au moment où je sortais du supermarché, mais sa silhouette sombre et longiligne me rappela qu'il n'avait pas l'intention de me lâcher. La frustration que m'avait causé l'examen des pêches s'était pratiquement dissipée, le passage à la caisse s'étant passé sans encombres. Je me souvenais pourquoi j'avais accepté de mettre précocement fin à mes courses, et à présent que la raison m'apparaissait clairement devant moi, je savais que je ne pouvais pas le regretter. Kiril se découpait comme une tâche d'ombre dans le paysage familier, tel un mystère alléchant que j'avais très envie d'élucider. Je dus me retenir de ne pas sourire trop fort, pour éviter de me faire assaillir de ses questions. Ce n'était pas lui que je voulais renseigner, mais moi, et moi seul, ce qu'il n'avait pas encore compris, et ne comprendrait peut-être jamais.
Il était si innocent. C'était vraiment inquiétant.

J'avais acquiescé docilement à sa proposition de café. En bon fils de famille de petits restaurateurs, je préférais largement les petits lieux typiques où ne se rassemblaient que quelques habitués et curieux, car je savais tous les efforts qui se cachaient derrière des façades parfois miteuses. Mais Kiril avait l'air plus carré, une grande chaîne, ça lui convenait mieux, et je n'avais pas envie de le contrarier. Je n'étais pas encore assez sûr de moi pour me frotter à la partie la plus sombre de sa personnalité.
Marcher en silence m'aurait parfaitement agréé, mais Kiril, alors même que ses muscles conservaient une certaine rigidité émotionnelle, semblait souffrir du bouillonnement de son cerveau. Je le sentais prêt à s'engager dans la pente glissante des questions - glissante parce que l'une amenait l'autre, et que si je ne savais pas comment l'arrêter, elles n'auraient jamais de fin. Elles avaient également le malheur d'être particulièrement compliquées. Je ne savais pas comment lui expliquer tout cela, et je n'avais pas la patience de réfréner ma propre curiosité.

« Parfois oui, parfois non. On ne peut pas prévoir, avec les relations humaines. Mais c'est le temps qui permet de confirmer une amitié ou d'en pointer la fragilité, de renverser l'opinion qu'on peut avoir d'une personne, en bien comme en mal, ce genre de choses. Le temps est une épreuve, si vous voulez. Mais ça reste totalement aléatoire, insistai-je, il n'y a pas vraiment de règles bien définies. »

Je me doutais déjà qu'il allait déchiqueter mes paroles pour y trouver d'autres pistes à explorer, mais je n'avais pas l'intention de le laisser faire, car comme je l'ai déjà dit, je n'étais pas là pour m'aider. J'enchaînai rapidement, pour lui couper l'herbe sous le pied :

« À mon tour de vous poser une question. N'y répondez pas si vous n'avez pas envie, mais... pourquoi êtes-vous aussi obsédé par les visages ? »

Mon visage aurait été une formulation plus exacte, correspondant davantage à l'interrogation que j'avais envie de formuler, mais je ne voulais pas me ramener aussi tôt dans la conversation. Je voulais conserver une expression la plus neutre possible - probablement un peu contente malgré tout - pour maintenir l'illusion que j'étais vraiment aussi doué que je le prétendais.

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Kiril Karajan
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Re: curiosity expectations / banri UNE OEUVRE DE Kiril Karajan Lun 11 Fév - 9:50






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Nous marchons calmement à un rythme similaire. J’observe nos pas engloutir les pavés. J’observe ceux des passants que nous croisons. Certains sont pressés, certains sont nonchalants, certains sont las, certains sont sautillants, certains sont souples. C’est impression - je ne me doutais pas qu’une telle richesse se cachait dans nos démarches. Je pourrais devenir à celles-ci quelles sont les humeurs habitant leurs propriétaires.

Je souris.

Je le regarde. Au même instant, nous arrivons devant le Starbucks. Je l’invite à entrer, en silence. Je tâcherais de poursuivre notre conversation lorsque nous serons confortablement installés. Les bruits avoisinants du trafique routier et de la rue en général m’incommodent.

Je commande un caramel macchiato au barista ainsi qu’une part de cheesecake américain nature. Je ne l’informe pas de mon nom, je l’informe de mon pseudonyme - Sweet Tooth. Une jeune femme prépare ma commande. Je patiente 3 minutes et 12 secondes. À côté de moi, il y'a un adolescent jouant à un jeu de réflexion sur son téléphone. Il vient de perdre. Il fronce les sourcils et marmonne. J'imprime cette image sur ma rétine. Ma commande est prête. Je récupère ma commande. Je choisis une table ronde dans l’angle droit, au fond de la salle.

Je m’assied sur la chaise de bois noir. J’observe mon plateau que je trouve désordonné. Je savoure une première gorgée de ma boisson. Je pose les mains à plat sur la table. Je le fixe. Je souris plus amplement. Pourquoi suis-je obsédé par les visages ? Parce qu’ils sont expressifs et que le mien ne l’est pas assez. Le vôtre est un de mes favoris, vous savez. Je pointe du doigt un point invisible sur le sus-désigné. Vous avez une mince ridule perpendiculaire à votre pommette sur le côté droit qui se dessine lorsque vous êtes embarrassé.

Je coupe un bout de mon cheesecake avec ma cuillère. Je le porte à ma bouche. Il est bon, il est frais. Un peut trop sucré, si je devais émettre une critique.

Merci pour votre explication de plus tôt. Je la noterais dans mon carnet ce soir, lorsque je serais chez moi. Les relations humaines sont si complexes - combien d'oeuvres sur le sujet ? Combien de grands noms à citer ? J’ai adoré le Banquet de Platon, ce doit être mon ouvrage favoris. J'ai adoré les essais sur les rêves et le subconscient de Jung. Or, ni l'un, ni les autres ne suffisent à m’éclairer sur le vaste océan qu’est l’humanité.

Je souhaite pouvoir, un jour, être en mesure d’exprimer mes émotions et sentiments sans entrave, sans lutte, sans contrainte. J’aimerais que mon empathie se réveille, que mon cerveau corrige les défauts qui le déforment.

Je soupire.

Mes yeux vont et viennent entre diverses silhouettes du café. Une minute, j’effectue ce manège. À présent, je le fixe à nouveau. J’aimerais toucher ses joues et les modeler - mais je sais que ce n’est pas un comportement adéquat, je sais que ce n’est pas ce qu’une personne normale en situation banale ferait.

Je me retiens.

Me vient une idée, en compensation de cette frustration que je m’inflige. Pourquoi ne pas provoquer ce que je convoite tant, pourquoi ne pas provoquer des expressions, ses expressions ?

J’ai très envie de me rouler sur le sol en gazouillant comme un oiseau ! J’emploie un ton saugrenue, fait mine de me lever tout en gardant mon attention sur ses traits.

Je me rassieds. Je me penche au plus près de lui. J’attend neuf secondes.

Avez-vous déjà eu un orgasme ?

Mon sourire renaît, pincé et coquin. Je dois y mettre les formes.
Ses traits, ce sont toujours ses traits que mon attention couve.
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banri
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Re: curiosity expectations / banri UNE OEUVRE DE banri Lun 11 Fév - 21:43

Le silence accueillit ma question. Je me demandais si j'avais outrepassé les limites de notre intimité récente, ou si plus simplement c'était l'oreille de Kiril, perturbée par le fond sonore routier, ne l'avait pas entendue. Je n'osais pas me montrer insistant et le laissai prendre un peu d'avance, puisque nous étions arrivés à destination. Je préférais pouvoir l'observer discrètement, sans me sentir gêné de le fixer.
Mais je ne remarquai pas grand-chose d'intéressant, pas même ses choix de consommation qui me laissèrent presque indifférent. Un cheesecake, quand on se faisait appeler Sweet Tooth, ce n'était vraiment pas un choix étonnant. Il devait probablement avoir une dent pour le sucré, comme beaucoup de monde en fin de compte. Plus sobre, j'optais pour un simple thé, sans accompagnement, car je sentais que j'avais besoin de garder l'estomac léger pour cette conversation.
Presque comme si j'officiais.

Je m'efforçais de chasser cette pensée en prenant place près de lui, mais je me doutais bien que je n'allais pas faire taire mes instincts en discutant avec lui. Je n'étais pas prêt à engager la conversation, car je n'étais pas certain d'obtenir une réponse, mais mon camarade répondit enfin à la question que je lui avais posée dans la rue, et que j'avais presque oubliée. Il faisait preuve d'un sens du détail méthodique qui me titillait un peu.
Sa réponse bien sûr m'estomaqua : il ne pensait pas sérieusement qu'il était complètement inexpressif ? L'interrogation se lisait sur son visage : il était en questionnement perpétuel, depuis tout à l'heure, à se demander mille choses que je ne devinais pas vraiment, mais dont ses questions témoignaient explicitement. En le regardant, c'était un homme en décalage avec le monde que j'observais, qui s'efforçait de donner le change pour masquer du mieux qu'il le pouvait ses doutes métaphysiques. Peut-être que c'était moi qui observais trop, ceci dit. Une personne lambda l'aurait probablement trouvé aussi peu expressif qu'il le disait.
Je touchai machinalement la ridule qu'il désigna sur mon visage en songeant que lui aussi avait l'air de bien interpréter les émotions. Je ne savais pas combien de fois j'avais été embarrassé en sa présence, mais il avait déjà été capable d'en faire l'observation.

« M'est avis que vous êtes plus doué en sentiments que vous le pensez, répondis-je, un peu songeur. Mais vous ne vous faites pas forcément confiance, on dirait. »

Ou alors c'était quelque chose d'instinctif, chez lui, qu'il ne parvenait pas à contrôler.
Kiril prenait de plus en plus la posture de l'étudiant avec moi, et s'il ne m'avait pas paru aussi étrange, j'aurais pensé qu'il s'agissait d'un jeune homme désireux de tirer quelques trucs d'un psy pour briller en société.
J'avais beaucoup de mal à le suivre. Un moment, il se contentait de regarder autour de lui, de ce regard contemplatif que j'avais déjà repéré chez lui. À un autre, il soupirait sans trop de raisons, comme s'il était déçu. Puis il laissait subitement exprimer l'une de ses pensées presque bucoliques, que je ne savais pas comment interpréter. Il était erratique, saccadé ; parfois très expressif, à la limite de la puérilité, étrangement franc dans sa naïveté mal contenue ; puis il se refermait, semblait attendre quelque chose, une confirmation ou du courage, et il se lançait. Je l'observais attentivement, en essayant de paraître le plus détaché possible.
Je ne savais pas comment j'étais censé réagir avec quelqu'un comme ça : il y avait de toute évidence quelque chose qu'il retenait en lui, et qu'il n'osait pas exprimer, mais je n'avais aucune intention de l'aider et d'entamer une thérapie avec lui. Je voulais juste... savoir et le disséquer un peu. Gentiment. En toute amitié.

Évidemment, Kiril finit par m'atteindre, et je m'étranglai sur mon thé lorsqu'il me demande le plus sérieusement du monde si j'avais déjà eu un orgasme.
Foutu gaijin.
Il avait eu au moins la décence de ne pas prononcer cette question tout haut mais je lui en voulais malgré tout. Je passai plusieurs dizaines de secondes à tousser à cause de ce thé chaud qui me brûlait la gorge, en regrettant de ne pas avoir de l'eau bien froide à proximité immédiate pour faire passer cette sensation désagréable.

« Mais qu'est-ce qui vous prend de poser une question pareille ?! » demandai-je sans retenue.

Je savais que les étrangers avaient tendance à nous considérer comme assez débridés, à cause de certaines de nos pratiques sexuelles n'impliquant aucune pénétration, mais la façon dont ils voyaient les choses signifiait surtout que c'étaient eux qui injectaient une sacrée dose de fantasme dans ces pratiques. Je ne me serais pas ouvert à lui sur le sujet s'il avait été abordé, alors vous imaginez bien que les orgasmes n'avaient pas leur place non plus dans cette conservation.

« Attendez au moins de connaître la personne avant de poser ce type de question. » lui conseillai-je, grognon.

(et je ne dis pas connaître au sens biblique, bien sûr)
C'était moi le psy, c'était à moi de lui donner ce conseil, mais il était évident que la façon dont je le regardais avait changé. Il n'était pas plus dangereux qu'avant, à mes yeux, mais il était terriblement impoli.

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Kiril Karajan
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Re: curiosity expectations / banri UNE OEUVRE DE Kiril Karajan Sam 16 Fév - 9:40






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Ah, mince. Je crois l’avoir profondément offusqué. J’en suis à moitié désolé. Il risque d’être moins à même de me parler librement mais je ne peux nier mon contentement de voir l’expression qu’il m’offre. Si j’avais eu à disposition un appareil photo, je l’aurais photographié. Son visage, modelé de la sorte, aurait ainsi figuré parmi tous les autres sur le mur de mon salon, annoté de quelques lignes - gêne et surprise suivit d’une pointe de colère et d’exaspération quant à une question soudaine concernant sa sexualité. Je me contenterais de lui nicher une page dans mon carnet de ce mois-ci.

J’aimerais le provoquer davantage, contempler jusqu’où peut amener une émotion forte la crispation des maxilaires, la chaleur des pommettes, le pincement des lèvres…

Veuillez m’excuser. J’attendrais de vous connaître mieux et vous poserais à nouveau la question. À ce moment là, lesquels de ses traits changeront ? Ses sourcils seront-ils moins froncés ? Ses joues seront-elles plus rouges ? Allons, inutile de projeter plus que nécessaire ma curiosité.

Je bois une gorgée de mon café. Je prends une bouchée de mon cheesecake. Je laisse approximativement trois minutes de silence nous immerger, afin qu’il reprenne contenance et que je lui semble à nouveau disposé à la courtoisie.

Les trois minutes sont écoulées.  

Me revient sa remarque. Je souris. Je m’adosse contre le dossier de mon fauteuil. Je réfléchis. Suis-je plus doué en sentiments que je ne le pense ? Voilà qui est intéressant. Peut-être est-ce le cas. Peut-être suis-je un sentimentale qui s’ignore. Terme qui me gausse un tantinet - cela me plaît, qu’il puisse m’imaginer ainsi, que je puisse m’imaginer ainsi. La vérité n’est pas loin, j’ignore beaucoup de mes capacités à ressentir - trop obnubilé par celles des autres.

C’est un psychiatre. Être obnubilé par celles des autres, ce n’est pas négatif, c’est son travail. Je me demande - faut-il en retirer du plaisir pour ne pas être las après ne serait-ce que trois séances à écouter les déboires et les états d’âme d’une personne ? N’y a t-il pas quelques vices supplantés dans la pratique de ce métier ?

N’y a t-il que des psychiatres bons et entièrement dévoués, dénués d’intentions plus scientifiques ?

Je me demande. Je me demande si certains ne sont pas psychiatres simplement pour se conforter dans une position supérieure. Je me demande si certains ne sont pas psychiatre pour se consoler d’avoir une vie heureuse en comparaison de celles qu’ils décortiquent ? Je me demande si certains ne sont pas psychiatres pour jouir d’un accès sans méfiance aux méninges d’autrui - les analyser, les déconstruire, les reconstruire, les annihiler, les panser…

Dites-moi. Pourquoi êtes-vous psychiatre, pourquoi choisir plus particulièrement de venir en aide aux monstres ? L’humain est-il moins intéressant ? Seriez-vous excité par l’horreur et ce que la morale condamne ? Non, je ne peux décemment entamer ce sujet-ci, il risquerait de se braquer. Quoique cela me permettrait d’ajouter une nouvelle de ses expressions à ma collection mémorielle.

Non, non.

Après tout, le simple fait de le fixer, comme je le fais à présent, suffit à me satisfaire.
Kiril Karajan
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banri
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Re: curiosity expectations / banri UNE OEUVRE DE banri Sam 16 Fév - 21:29

J'étais encore dérangé par la question indiscrète que Kiril venait de me poser, mais il avait pris la peine de s'excuser, en reprenant une partie de mes mots comme pour mieux m'apaiser.
Je profitai allègrement du silence qu'il me laissait pour laisser mes propres pensées dériver.
La curiosité finit par prendre le pas sur la colère. Je me demandais si je pouvais le diriger en lui donnant des instructions élémentaires à travers mes conseils et mes réactions. J'étais persuadé qu'il ne comprenait pas vraiment ce qui me dérangeait, et qu'il ne chercherait sans doute pas à le faire, mais il faisait preuve d'une certaine docilité qui m'intéressait tout particulièrement. Les doutes concernant son émotivité défaillante semblaient l'obliger à se fier à quelqu'un d'autre pour lui montrer les limites de ce qui était acceptable ou non, ce qui constituait indubitablement un point de vulnérabilité.
L'apparente facilité de cette tâche était démentie par la difficile emprise que je pouvais prétendre avoir in fine sur son âme, et surtout, par la capacité surprenante de Kiril à mettre le doigt là où ça faisait mal. À vrai dire, la question qu'il me posait était anodine, tout le monde pouvait demander à quelqu'un, même peu connu, ce qui l'avait poussé à choisir ce métier. Question légitime, donc, que d'autres m'avaient déjà posée. L'habitude m'aida à enchaîner rapidement, et j'étais persuadé qu'à la longue, ce mensonge deviendrait pour moi une réalité.

« Le business. La psychologie qu'on vous enseigne à l'université est entièrement accès sur l'humain - et ça se comprend, pendant longtemps, il n'y avait que non sur Terre. Sauf que... depuis quelques années, on a des monstres qui sont apparus. Si vous êtes malin, vous comprendrez très vite qu'il y a une jolie clientèle à se faire, même si la science n'est pas tout à fait au point. Par exemple... »

Je me laissais totalement embarqué par mon explication, afin de noyer le poisson. Parler de mon travail concret était sans risque, et le mensonge serait complètement dilué.

« J'aime beaucoup travailler sur les problèmes de mémoire, car leur passage jusqu'à chez nous a parfois tendance à la perturber. On connaît les mécanismes qui, chez les humains, permettent de la perdre, de la retrouver, ou de vivre avec des souvenirs tronqués. Mais là, c'est quelque chose que nous ne pouvons pas expliquer. C'est un processus trop aléatoire, trop neuf, et on ne sait pas s'il s'agit d'une sorte de tribut que certains paient, et si cette mémoire peut être restaurée. Considérez que mes quelques collègues et moi, on s'essaie à une science nouvelle, et que c'est très gratifiant - dans tous les sens du terme. »

J'espérais bien que Kiril avait gobé l'omission que j'avais faite sans se rendre compte qu'il y manquait quelque chose - si c'était le cas, il risquait bien de vouloir creuser la question.

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Kiril Karajan
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Re: curiosity expectations / banri UNE OEUVRE DE Kiril Karajan Dim 24 Fév - 19:54






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Je remarque s’il s’applique à me répondre en étoffant son point de vue, en faisant emprunter à ses phrases quelques chemins sinueux et en pointant du doigt une visée sur l’intérêt plus que sur l’altruisme. L'étendard de la psychiatrie, émancipé de longs discours et de conquêtes égocentriques. J’apprécie la générosité de cet échange mais je ne suis pas entièrement satisfait.

Un instant, je réfléchis.

Vous dites « on »… Vous n’employez pas le « je » - vous omettez votre personne. C’est curieux. Seriez-vous humble ou serait-ce une discrétion bien définie ? Ou peut-être une vulgaire omission, un style de conversation qui vous est plus familier ? Je termine mon café, observe le cliquetis silencieux des aiguilles de ma montre. Je suis soulagé, j’ai encore du temps.

Je souhaite que ce temps ne me donne pas l’impression d’être pressé, d’être pressant. Je souhaite savourer davantage sa présence et son éloquence - quoique je le devine un soupçon en retrait.

Suis-je intimidant ou n’est-ce là qu’une esquisse de protection ? Encore des questions. Je ris, doucement.

Je m’excuse si je vous parais trop téméraire ou discourtois. Ce n’est pas mon attention… Je ne peux m’empêcher de relever des détails là où la forme veut qu’il n’y en ait pas, le genre de détails que vous omettez et qui donc me rendent gourmand. Vous me rendez gourmand. Aveu que j’accompagne volontiers d’un regard insistant. S’il était armé d’aiguilles, je tricoterais au sein même de ses iris quelques plastrons blancs, de sorte d’y imprégner mes couleurs, mes envies, ma curiosité.

Je ne peux m’empêcher non plus de vous notifier que… Vous n’avez pas réellement répondu à ma question. Trouvez-vous l’humain moins intéressant ? Devrais-je peut-être moduler ma demande : qu’est-ce qui vous fascine chez l’humain ? Je pourrais m’étaler des heures durant si j’avais à répondre à cela - je pourrais ne jamais épancher ma soif, ne jamais assouvir ma faim. L’humain est définitivement ce qui me fascine le plus.

Suivant cette logique et mes appétits - il me fascine. Je l’ai dis, je le répète. Il me rend gourmand - bien sûr je n’irais pas jusqu’à l’inscrire sur mon menu, non. Nous ne pouvons développer ce que je recherche - l’amour, quelque soit sa forme. Ce serait, en réalité, gâcher sa personne que de l’amener à m’aimer à l’égal d’un ami, d’un frère, d’un amant ou que sais-je.

Pour l’heure, du moins, ce serait effectivement du gâchis.

Vous m’êtes d’une charmante compagnie, vous savez, Banri-san. Je souris, retenant avec véhémence mon souhait de surpasser les traits de son visage de mes doigts.
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banri
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Re: curiosity expectations / banri UNE OEUVRE DE banri Mar 26 Fév - 20:51

Emporté dans mon élan, je ne m’étais pas rendu compte que le sujet que j’avais développé ne l’intéressait pas vraiment. Je m’étais permis de me comporter avec lui avec le naturel que l’on réserve d’ordinaire aux personnes susceptibles d’éveiller un sentiment de familiarité chez autres. Kiril était loin de posséder cette faculté de façon consciente, et je ne pouvais même pas affirmer que j’avais confiance en lui. Mais puisque je ne le considérais pas comme un patient, sans que pour autant je le visse comme un ami, il fallait bien que je trouve un qualificatif pour le désigner.
Je crois que c’est cette façon insistance de repérer quantité de petits détails dans les mots qui me le rendait sympathique. Cette lucidité aurait dû éveiller ma méfiance, d’autant plus que je savais exactement à quoi m’attendre, pour avoir expérimenté à de nombreuses reprises toute l’étendue de ce pouvoir. Mais je ressentais une sympathie frémissante à l’idée que je n’étais pas le seul à pouvoir analyser les autres avec un tel degré de précision. Pour peu qu’il en vienne à comprendre avec exactitude ce qu’il devinait, il deviendrait redoutable, à n’en pas douter.
Comment résister à une telle opportunité ?
Je gardai le silence, savourant tranquillement cette supériorité que je me ménageai.

« Vous n’êtes guère si intimidant que cela, Kiril, finis-je par dire avec détachement. Vous êtes en effet capable de repérer le ton général que j’adopte, mais vous n’arrivez pas à savoir pourquoi je l’emploie. J’apprécie beaucoup vos hypothèses, elles sont très sympathiques, mais je ne crois pas que je dois vous donner toutes les clés. Dans votre propre intérêt. Je ne peux pas être toujours là pour tout interpréter, vous comprenez. »

Je conclus ma phrase avec un sourire amical. Il n’avait pas besoin de savoir tout ce qui se passait dans ma tête.
Kiril me reprocha bientôt de ne pas avoir répondu directement à sa question. Je dus me retenir de lui faire remarquer qu’il n’y arrivait pas mieux quand la question venait de moi. Comprenant que les réponses les plus simples et les plus courtes étaient probablement celles qui le satisfaisaient le mieux, je me montrai très succinct dans ma réponse :

« Pour moi, l’homme est aussi intéressant que le monstre. Mais il est moins lucratif. »

Et voilà. Je l’avais dit. Je me sentis brusquement libéré d’un poids, comme si je découvrais que je pouvais avouer ouvertement à Kiril tout ce que je retenais en moi, au lieu de projeter mes doutes à la lisière de ma conscience, pour n’en tenir qu’une vision convenablement épurée de ses accents accusateurs dérangeants.
Je n’appréciais cependant pas un tel déséquilibre de notre relation. Je ne comprenais pas vraiment cette fascination que je semblais exercer sur mon interlocuteur, et dont il me rappelait avec une franchise légèrement frustrée à quel point elle me rendait agréable à ses yeux. Pourquoi. La question était peut-être plus fondamentale encore que ce qu’il cachait à l’intérieur.
J’eus envie de m’avancer, d’accrocher ses yeux dans les miens, jusqu’à les disséquer, les vider de leur substance, et accéder à son secret. Mais j’étais quelqu’un de retenu, et je me contentais de soutenir son regard, en espérant que l’intensité de ma curiosité saurait rendre transparente cette vérité que je recherchais.

« Justement. Qu’est-ce qui vous intéresse tant chez moi ? Ce n’est pas les connaissances que je porte, je le sais. Ce n’est pas uniquement l’instruction que vous recherchez. Qu’est-ce qui vous fascine ? »

J’espérais qu’il ne me répondrait pas un truc glauque, comme des cadavres de chat ou la vision de sang répandu, car j’aurais eu la forte impression qu’il n’aurait fait qu’effleurer ce qu’il avait à me dire.

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Kiril Karajan
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Re: curiosity expectations / banri UNE OEUVRE DE Kiril Karajan Lun 11 Mar - 19:16






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Je considère avec un certain détachement l’assiette vide aux miettes éparses, vestiges de mon cheesecake. Tel est le point d’ancrage de mes pensées à présent vagabondes et brumeuses - je ne saurais dire si mon envie de répondre sans détour à ses questions ou mon envie de détourner le sujet pour emprunter des chemins moins houleux se battent mais… Mh. La première me semble être la plus propice à retirer par la suite des informations intéressantes à son sujet. N’est-ce pas l’adage d’un échange de ce genre ? Donnant, donnant ?

Je croise les mains, me soustrait à l’assiette vide aux miettes éparses et lui préfère son visage. Ce qui me fascine… - je reprends, pour mieux amorcer ma réponse - Je crois que vous êtes de ceux qui jouent au funambule sur la ligne invisible entre le moral et l’immoral. Voyez-vous… Je me trouve du côté de l’immoral. Qui plus est j’ai de grands problèmes d’adaption à l’ordinaire et au commun car si je veux survivre en ce bas-monde, il me faut être du côté moral, n’est-ce pas ? Les caractéristiques des personnes de ce côté-là se basent quasi essentiellement sur les émotions. Vous êtes susceptibles de comprendre les deux côtés tout en restant sagement du côté moral, bien que je vous soupçonne d’être fasciné par ceux qui sont du côté immoral. Je ne sais si je suis clair ou concis dans mes propos, aussi je préfère marquer une légère pause profitable à mon besoin de nicotine.

Quels sont les mécanismes, les rouages, la physionomie du moral ? Quelles sont ces manies ? Quelles pensées habitent une personne morale au moment où elle agit ? Quelles pensées, quelles expressions façonnent une personne morale au moment où elle agit de manière immorale ? Outre ces faits, vous avez un visage très expressif - ce que je vous ai déjà dit et c’est cette qualité même qui vous relègue au statut privilégié de toile humaine. Agissez avec immoralité, et votre visage se modèlera comme autant de petites fourmis. Agissez avec moralité, et votre visage se modèlera comme autant de petites fourmis. Vous êtes une toile. Je veux comprendre, je veux savoir, je veux m’approprier. Aveu un brin téméraire - quoique je laisse la majorité de mon discours, à l’égal de ma personne, dans un flou volontaire.

Ma cigarette s’épuise jusqu’à ne m’offrir qu’une dernière latte - soubresaut grisâtre qui s’évapore au dessus de nos têtes. Je me débarrasse du mégot dans l’assiette et vide aux miettes éparses et recentres mon attention sur ses yeux. Je souris, me délassant souplement contre le dossier de mon fauteuil. Aimez-vous la grande cuisine, Banri-san ?
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banri
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Re: curiosity expectations / banri UNE OEUVRE DE banri Dim 24 Mar - 18:16

Je n'avais pas eu besoin de le forcer pour inciter Kiril à me déballer ce qui l'intéressait chez moi. Une fois lancé, il se montrait très prolixe, presque bavard, comme si ses pensées se déversaient dans sa bouche avant que celle-ci n'eût le temps de former tous ses mots. Pourtant, il était organisé dans ses propos : on sentait qu'il avait longuement réfléchi à ce qu'il disait, et qu'il présentait ses interrogations comme s'il les retirait méticuleusement des tiroirs où il les avait rangées. Je ne doutais pas un instant qu'il était sincère ; il paraissait presque gêné.
J'avais déjà compris depuis longtemps qu'il avait un véritable problème avec la moralité, c'était le mal du siècle, il me semblait. Kiril avait conscience que ce concept existait, mais son sens comme son utilité sociale le dépassaient. Ce qui m'étonnait vraiment, c'était l'image qu'il se faisait de moi. Il pensait que j'avais le pouvoir de côtoyer l'immoralité tout en restant immaculé. Que j'étais attiré d'une façon ou d'une autre par ce contraire avec lequel je flirtais. Je n'avais jamais vu les choses ainsi. Très rapidement, un objectif s'était imposé à moi : décortiquer l'esprit des monstres pour libérer définitivement mon frère naïf de leur influence. La fascination n'avait jamais eu de place dans ce plan de carrière bien tracé.

« Mais n'est-ce pas la même chose pour vous ? Ne ressentez-vous pas une attirance inexpliquée pour la moralité, et ceux qui l'incarnent, dans sa dimension non-punitive ? » demandai-je à propos.

Je laissai couler ses propos dérangeants d'appropriation - je connaissais assez les types comme lui pour savoir qu'il valait mieux éviter de chercher le sens de ce mot. Même le sens le plus innocent aurait probablement des implications que je ne voulais pas connaître.
La conversation dérivait vers un sujet moins délicat, qui par la même occasion me paraissait moins intéressant. J'observai son profil délicat, l'arête de son nez bien découpée - oui, c'était bien le genre de physique à aimer la grande cuisine.
Mais vous savez ce qu'on dit. Ça ne veut rien dire.

« Bof. Payer cher pour une assiette qu'on mange en dix minutes... je n'en vois pas l'intérêt. Et puis, les soba de mon grand-père sont les meilleurs. »

Mais je me garderai bien de le ramener au restaurant : hors de question que ce fou approche de ma famille. Ils comprendraient très vite que mon métier n'était pas si innocent que le métier de bureau que je leur laissais miroiter.
Je commençais à m'ennuyer un peu.

« Vous auriez peut-être dû entamer une carrière de psychologue... Vous auriez peut-être obtenu des réponses aux questions que vous vous posez, même si elles ne vous conviendraient peut-être pas. mais au fait, que faites-vous dans la vie ? Je n'ai pas pensé à vous le demander. »

banri
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