Il avait suffi de l’exposer aux rugissements du feu et à la couleur de l’essence pour délier sa langue écarlate. Mes jointures souffraient encore des derniers coups lancés à ses joues, mais ce qui me répugnait plus encore, c’était de lui avoir parlé. De l’avoir touché.
Un centième de fraction de secondes, j’ai cru éprouver de la pitié pour ce monstre. Puis, mon humanité me rattrapa bien vite. Je lui faisais avaler ses dernières molaires alors qu’il déblatérait sur ses pires méfaits. Les monstres étaient monstrueux. Les hommes étaient monstrueux. Le monde était monstrueux.
Aussi, je me mis à réfléchir, ne ménageant pas ma migraine du jour alors que nous nous rendions en fourgon au laboratoire d’extraction, à ce qui pouvait pousser une espèce à s’entre-dévorer ? S’enticher à ce point d’une personne pouvait-elle combler un manque, ou bien la gloutonnerie n’avait pas de pallier ?
Senna, j’aurai pu la dévorer d’amour.
Mes sentiments se brisent pour une mine plus tirée, des lèvres renfrognées. Ce qui traîne dans le coffre, c’est ce qui condamne le jugement dernier sur Terre.

Descendu du véhicule, je crache. Il faut qu’il comprenne qu’il ne s’appartient même plus, cette laideur n’est pas plus sienne que mienne. Il appartient à OLMS : le reste de ses jours, il va les passer à supplier. Je le lui avais fait comprendre ; en tombant sur moi, il avait eu un avant-gout de l’affliction humaine. J’osais par ailleurs songer à son état d’esprit, la panique. Les murs laiteux, l’odeur métallique d’anesthésie, les visages plats, c’est tout ce qu’il lui resterait. Laisser les monstres à l’agonie de leur propre terreur, quel pied. Cette lubie se serait soldée par un succès si la cabine à laquelle nous le menions n’était pas aussi bordélique que celle de Xenia…
Elle et son unité de branquignoles déconcertés… Cette idiote de l’Est est encore plus niquée du cerveau que n’importe lequel de ses sujets d’expériences, et l’impulsion de sa voix gênée traverse déjà les corridors unis du labo.

Ce sourire torché à la va-vite, il rime à quoi ? Une anodine veine danse sur ma tempe, je baisse les yeux d’une fatigue prévue. Pas la peine de la saluer, on a fait nos classes ensembles et toutes ses années ne l’ont pas encore fait décrocher de ses tics. Il suffisait de prêter attention à la pâleur de son teint et aux pixels de sang qui se détaillent à ses avant-bras sous son imper de scientifique pour comprendre. Se piquer, ça n’a rien de bon. Elle pouvait me croire… de mon côté, je continuais de la sermonner en pensées alors que la diablerie d’Akashita turbulente était sanglée à une table d'opération. L’heure du rapport.
Un Akashita. Il se fait appeler Tuner, 237 ans. Le Centre voulait qu’on l’appréhende pour l’utilisation abusive de ses capacités près des égouts. Je m’approche de Tuner, sa gueule déplorable ferait frémir une rangée de psychopathe. Un scalpel que je ne prends pas la peine d’examiner tourne entre mes doigts et je l’utilise pour tâter le monstre. J’ai fais souffrir l’enflure des orteils aux dents, il en a perdu quelques-unes. Apparemment il se servait des conduits de la ville pour déguster les gens dans leurs bains – on pense qu’il a dévoré des camarades à lui. Analyses requises par le QG, résultats dus à ce soir.
Tuner reçoit la médisance de mes gestes. Je vide les symptômes de ma fièvre passagère sur son visage lacéré et il implore sans tarder, de son cheveux sur sa langue mordue de flippe. Arrê’chez chi’vous plaît ch’ai dis tout che que…
Le scalpel se loge au creux des rides de son front. Il n’en mourra pas, il en gémira simplement.
Ta gueule. Je me tourne vers Xenia. Fais gaffe, ces saloperies apportent la malchance.